Les enseignants débutants entretiennent une relation parfois ambigüe avec leur propre formation. Que certifie le diplôme ? Comment se crée la compétence ? Comment passer du stade « je suis du métier » à celui de « j’ai du métier » ? Que serait un développement professionnel efficace sans les formes formelles de la formation plus classique ?
Que pensent les nouveaux enseignants de leur formation ? Neuf nouveaux enseignants sur dix ne se sentent pas prêts à prendre une classe ; la moitié d’entre eux n’ont pas suivi le master d’enseignement, ce qui ne les a pas empêchés d’être reçus au concours. La crise sanitaire a même empêché la tenue d’entretiens et des oraux de concours. Recrutés sur l’écrit académique seul. Beaucoup de surprises et de déception après.
L’enquête menée par le SNUIPP a touché 1 766 professeurs des écoles stagiaires ; 70 % des stagiaires se sentent débordés, un taux comparable à celui des années antérieures. 87 % ont le sentiment de ne pas être assez préparés pour avoir la responsabilité d’une classe, un taux en légère hausse par rapport à 2016 (85 %) ou 2015 (82 %). Les stagiaires se sentent le plus en difficulté dans la gestion de l’hétérogénéité (68 %), de la difficulté scolaire (55 %) et des groupes (41 %). Exactement comme si l’enseignement reçu se conformait à des modèles de classe qui n’existent plus que rare- ment. 74 % le jugent insuffisant en ce qui concerne la connaissance de l’élève, 70 % pour la gestion de la classe et même 60 % sur la connaissance des disciplines à enseigner. L’enquête pointe également des dysfonctionnements matériels des INSPE. Ainsi deux stagiaires sur trois ont eu moins de quatre visites par le tuteur de terrain, 80 % un ou deux visites par le tuteur. 27 % des stagiaires n’ont fait aucun stage en classe, même pas d’observation, avant d’être reçus et responsables d’une classe.
ESQUISSE D’UNE TYPOLOGIE DES ENSEIGNANTS DÉBUTANTS
Le développement professionnel, loin d’être une construction linéaire, tient d’une combinatoire plutôt entre prescription impersonnelle, premières expériences tâtonnantes et réalités du métier éprouvées dans la rencontre avec les élèves et avec ses collègues.
En collaboration avec l’ESPE des Pays-de-la-Loire, un suivi de cohorte a été réalisé sur plusieurs années. Les résultats font apparaître trois types de difficultés pour les néotitulaires : des difficultés liées au lieu d’exercice (déménagement, isolement, classes plus difficiles) pour ceux qui sont mutés hors académie, la nécessité de faire face et la maîtrise du métier. Même s’ils ont tous le sentiment de vivre dans l’urgence et de ne pas pou- voir se poser pour analyser leur pratique, les situations sont très différentes en fonction de l’établissement où ils sont nommés, de leur histoire personnelle et de leur appartenance ou non à des collectifs.
Deux profils émergent chez les jeunes enseignants. Les « héritiers » sont souvent issus de la classe moyenne intellectuelle, sont bien diplômés, aiment leur discipline et croient au modèle de l’excellence scolaire. Ils sont souvent venus dans le métier par vocation. Les « oblats », moins diplômés et de classes sociales plus défavorisées, se considèrent davantage comme pédagogues et sont plus en adéquation avec les objectifs de formation. Ces deux profils ont une conception assez différente du système éducatif et de la place de l’élève.
Après cinq ans d’exercice, les enseignants se répartissent entre ceux qui sont toujours de passage (TZR), ceux qui ont une position fixe qui leur convient bien, ceux qui travaillent par conviction en zone prioritaire et attachent une grande importance au relationnel et ceux dont la position d’« héritier » est inchangée, qui considèrent toujours la discipline en premier et le métier en second.
LA FORMATION SERA PLUS EFFICACE SI…
D’après l’enquête de Nantes, les « néos » voudraient avoir davantage de connaissances sur la psychologie des adolescents pour parvenir à établir avec leurs élèves une relation affectivement correcte. Ils ont aussi du mal avec le concept d’évaluation. Enfin, ils estiment être très peu accompagnés, même en REP.
« Quelles sont les formes pédagogiques les plus appropriées à la formation d’adultes déjà longuement scolarisés et formés à l’université ? » Roland Goigoux, professeur à l’université Blaise-Pascal, à Clermont-Ferrand, identifie trois conditions nécessaires associées pour une bonne formation par alternance : « l’action professionnelle (les stages sont indispensables très tôt dans le parcours de formation), la réussite de l’action (ces stages doivent être fortement encadrés par des tuteurs), la compréhension de l’action et des conditions de sa réussite (l’institut de formation doit donner aux stagiaires les moyens de réfléchir sur leurs expériences, hors de l’urgence de l’action quotidienne) ».
Ainsi, la « prise de métier » est une phase dynamique et parfois dérangeante. Par petits décalages progressifs avec ce qu’ils ont retenu des messages de la formation initiale, les enseignants débutants élaborent à l’épreuve de la pratique des représentations plus pragmatiques, en relation notamment avec les autres collègues : ils réinterrogent l’activité des élèves, cherchent à régler la prise de parole, priorisent l’avancée de la séance et comprennent que l’autonomie passe par un cadre et des règles. Ils comprennent qu’il va falloir assumer une présence forte dans la classe, et redéfinissent leur rapport à l’autorité. Les styles d’enseignement se fabriquent peu à peu, dans une cer-taine différenciation ; quelques-uns restent plus figés dans les représentations initiales génériques, au risque de se sentir malmenés, en échec. Ce qui peut faire la différence, c’est notamment l’acception ou non de son propre développement professionnel et l’intelligence (au sens de compréhension, traduction, appropriation) de la prescription (celle du métier, celle des pro- grammes, celle du socle), réelle ou parfois encore fantasmée.
RÉUSSIR SES PREMIERS COURS ? CONSEILS ET RESSOURCES
Un groupe de formateurs du premier degré, à Paris (directeur d’école, conseiller pédagogique, maître formateur), pour clore son cycle de travail consacré à l’accompagnement des enseignants débutants, s’est livré à un atelier d’écriture pour « réussir ses premiers cours ».
L’exercice s’est fait en deux volets de propositions : des conseils et des préventions. Chaque volet de propositions a pu faire l’objet d’une première analyse en trois catégories permettant d’en tirer quelques conseils utiles pour accompagner les enseignants dans leur prise de métier.
À faire | À ne pas faire |
Ce qui ressort de la préparation des cours (ingénierie) « Préparer la classe » (fiches de préparation sur une semaine). Être en phase avec les programmes, le niveau de classe, la sécurité des élèves (c’est-à-dire les exigences institutionnelles).
Ce qui ressort de la conduite de classe (« tenue de classe », gestes professionnels) Traiter avec équité les élèves. Réguler les conflits entre élèves sans laisser les choses traîner. Penser avec pertinence le travail à la maison et le reprendre en classe. Veiller au climat de classe (place de la parole, règles de vie, relations, organisation spatiale). Regarder les élèves travailler. Organiser le cadre. Donner des rôles et des responsabilités à ses élèves.
Ce qui ressort du processus de développement professionnel Considérer les élèves dans une dynamique de progrès. Venir à l’école avec plaisir. Identifier vos points forts pour éventuellement les réinvestir. Identifier les relais et les ressources dans la proximité. Reconnaître vos besoins et vos attentes. Se donner des priorités et travailler par étapes dans votre propre développement professionnel ; faire le deuil de la maîtrise totale et du « tout tout de suite ». Apprendre des autres. Penser à vous pour être mieux avec les autres. | Préparation Surpréparer pour ne plus laisser vivre ni respirer le groupe. Conduite de classe et vie de l’école Négliger les demandes de l’enfant, celui qui est derrière l’élève. Punir sans avoir réfléchi au rôle de la sanction. Faire preuve d’incohérence dans les exigences. Considérer les parents comme des ennemis. Se comporter comme le parent de vos élèves. Faire un usage démesuré d’autoritarisme1, de gestes ou de paroles susceptibles d’humilier ou de casser. Confisquer la parole. Se laisser prendre à réagir tout le temps. Développement professionnel Penser que vous travaillez seul. S’enfermer dans son propre silence et masquer ses propres doutes. Oublier vous-même le propre cadre de l’école, ou même celui que vous vous êtes donné. S’isoler. Se laisser contaminer par une certaine morosité ou complainte par ailleurs2. |
À noter comme ressource : les petites cartes du site Charivari (http://www.charivarialecole.fr/) qui permettent de signaler à l’élève de manière personnelle, sans rendre cela visible à l’en- semble de la classe ; la loi est respectée. Cf. la planche sur les 30 raisons pour enterrer un projet. |
Trois conclusions
« Réussir ses cours », c’est se recentrer sur la présence réelle et explicite de l’enseignant dans la classe. Cela évoque l’approche centrée sur la Personne développée par Carl Rogers1, fondée sur les trois principes suivants : « l’Éducabilité pour tous »2, « l’Empathie » et la « Congruence ».
Cependant, une classe réussie n’est pas forcément la même chose que « réussir ses cours ». En référence à la thèse « L’ennui à l’école » de Stéphanie Leloup, les enseignants peuvent distinguer ce qui fait un bon cours, mais… les items sont symétriquement inverses : l’enseignant peut avoir le sentiment de réussir son cours, mais les élèves le percevront très différemment (voir le chapitre 1).
Travailler la question de l’accueil des enseignants débutants, de leur prise de métier, de leur formation directe et « expérientielle » en établissement ; l’enjeu est l’analyse du métier, dans ses tensions, dans ses évolutions, mais aussi celle de la place de la formation et de la solidarité professionnelle dans toute école ou établissement.3
Collectif, Débuter en collège REP. Une année pas à pas. Chronique sociale, 2022- "Nous n'avons pas la prétention de dire comment vous devez vivre votre métier mais de partager nos pratiques". Des enseignants du collège Rep+ Delaunay de Grigny (91), et un chercheur, Patrick Rayou partagent un carnet de bord de l’année, depuis la prise de fonction en Rep jusqu’à la prise de responsabilités dans le collège.
Sur Carl Rogers, reprendre Présence de Carl Rogers, d’André de Peretti.
On peut penser à nos amis belges de la communauté francophone qui prêtent en début de carrière le « serment de Socrate ».
À compléter utilement avec Jean-Michel Zakhartchouk, Réussir ses premiers cours, éditions ESF, 2010, et le cycle des Lettres à, écrite par (ou avec) d’André de Peretti :
Lettre aux enseignants débutants, 2004.
Lettres aux accompagnateurs d’enseignants, 2006.
Quelques conseils pour la prise de fonction (sur le site Diversifier).
ON APPREND TOUT AU LONG DE LA VIE… D’ENSEIGNANT
À moins de s’inscrire résolument dans la république des « talents », l’enseignement n’est pas un don inné, même si vous êtes issu ou si vous côtoyez sur les bancs de l’université des fils ou des filles d’enseignants (c’est vrai pour un quart des enseignants). Le milieu familial a pu être porteur d’un projet professionnel fort, sinon d’un environnement et d’un genre de vie qui y incitent fortement. On n’est (naît) pas enseignant, on le devient, comme c’est le cas pour tout autre profession.
L’identité professionnelle présente plusieurs facettes
Les éléments constitutifs de l’identité professionnelle sont de quatre ordres : la qualification (le diplôme), la compétence, une culture professionnelle (objets, valeurs, actions, symboles), une déontologie.
De l’université au terrain. Les trois derniers éléments ne s’acquièrent pas comme le premier par une préparation et un acte validé. Ils s’élaborent dans l’expérience et dans le temps, et très peu en formation initiale, pour l’heure. On ne prescrit pas un acte comme on l’a appris en faculté de médecine, on n’enseigne pas comme on a appris à l’école, ou comme on nous a enseigné à l’université. L’écart est toujours important entre forma- tion initiale et exercice professionnel, et c’est normal. Pour cette raison, les cursus des facultés de médecine ont intégré depuis longtemps des séances d’analyse de pratiques et des formations par alternance.
L’acquisition des compétences. Un enseignant peut être statutaire- ment et fonctionnellement enseignant toute sa vie, aura-t-il acquis les compétences requises pour autant ? Vraisemblablement pas, comme toutes ces professions fondées sur le « travail à autrui », médecins et professions sociales notamment, la compétence s’élabore acte par acte, en ajustement réciproque avec ceux qui en bénéficient et en adaptation à un contexte spécifique. Développer des compétences professionnelles dans l’enseignement1 dépend au moins de cinq facteurs en interaction permanente :
les grands changements sociétaux qui peuvent affecter d’une manière ou d’une autre votre exercice localement (mondialisation, flux d’immigrations, réseaux…) ;
l’évolution rapide des connaissances, de leur élaboration à leur trans- mission plus diversifiée, dans ou hors du champ scolaire, depuis sa propre formation initiale, quelle que soit la discipline ;
le changement profond des publics scolaires et leur grande diversité selon les milieux, les niveaux, les classes, les zones, etc. Et aucun enseignant n’est épargné ;
les mutations non moins rapides du cadre institutionnel prescrit (projet politique de « refondation », puis autonomisation des établissements juste après politique d’établissement affirmée, régionalisation développée) ;
le mûrissement de votre propre parcours professionnel, participant en cela de votre identité à multiples facettes (personnelle, familiale…). Une étude récente[1] souligne que l'expérience finalement protège peu du burnout. En tout cas elle protège moins que les compétences émotionnelles ; , la compréhension de ses propres émotions est la dimension déterminante.
Toutes choses qu’on ne maîtrise pas, mais qu’il importe d’appréhender comme variables dynamiques pour se construire professionnellement tout au long de la vie.
1. Voir le riche site et les synthèses proposées par Jacques Fraschini sur www.gestesprofession-nels.com/
L’identité professionnelle est dynamique
Penser à sa propre formation participe de cette dynamique identitaire1 que l’enseignant connaît, comme tout autre professionnel, quels que soient son statut et son « état ». Elle est toujours « en devenir ».
Dynamiques contradictoires. On peut être dans une dynamique identitaire professionnelle différente de celle qu’on connaît dans le champ familial, social ou culturel. La question se pose alors de la gestion de la cohérence en coexistence de ces dimensions identitaires ; on peut se retrouver en situation de conflit identitaire quand certains projets peuvent entrer en tension avec d’autres (par exemple : projet professionnel et projet familial…).
Stratégies identitaires. Ces stratégies permettent de gérer ces tensions, d’aller vers plus de cohérence pour garantir un certain équilibre, sinon c’est la crise… Mokhtar Kaddouri propose quatre grands types de dynamiques qu’on retrouve dans l’étude n° 163 de la DEP, à parts égales :
- la dynamique de continuité identitaire. Les gens sont satisfaits de leur identité actuelle qu’ils ont envie de reproduire, de prolonger ou d’entre-tenir dans le futur (les « satisfaits ») ;
- la dynamique de transformation identitaire : il s’agit de la personne qui a quelque part une certaine insatisfaction de son identité actuelle et qui cherche, qui a une démarche d’acquisition d’une nouvelle identité. C’est le cas de nos enseignants débutants (les « évolutifs ») ;
- la dynamique de gestation identitaire : l’individu se trouve à un carre- four de sa vie : il a des interrogations, il n’est pas encore clair sur ce qu’il va devenir. Ce sont peut-être des personnes qui vivent dans une souffrance ou une blessure identitaire ou qui ressentent une rétrogradation professionnelle et qui se demandent ce qu’ils vont devenir. C’est le cas pour quelques-uns des « nouveaux enseignants » avec un passé professionnel externe (les « réservés ») ;
- la dynamique d’anéantissement identitaire : il s’agit là de personnes qui sont sans énergie ni ressort : ils ne sont plus dans une stratégie de sauvegarde de soi, mais plutôt dans une démarche d’anéantissement de soi (les « sta- tiques »). (Voir les signes du « burn out », chapitre 28.)
1. D’après un concept développé par Mokthar Kaddouri, maître de conférence au CNAM. Voir son article dans la revue Recherche et Formation n° 41, INRP, avril 2003.
La déontologie du métier d’enseignant s’apprend-elle ?
La déontologie est constitutive de la professionnalité du métier, au même titre que les compétences et le statut, et elle reste pourtant un impensé de la formation en l’état, au contraire d’autres métiers dont la régulation est conçue en interne (le code de déontologie du journalisme en 1918, celui des médecins à la fin du xixe siècle). La maîtrise des techniques variées et la connaissance du référentiel ne peuvent suffire si elles ne sont pas alimentées par un corpus de règles intérieures et partagées qui en assure l’usage et la régulation à l’épreuve du quotidien.
Pour Eirick Prairat1, la déontologie enseignante repose sur quatre principes : l’éducabilité, qui ne laisse personne hors de l’école, l’autorité, qui permet la distance nécessaire à l’enseignement, le respect, qui oblige à considérer la valeur de chacun, et la responsabilité, qui oblige à assumer décisions et actions.
Leur formulation doit obéir à trois règles : la sobriété normative, pour en éviter l’inflation intenable, le souci de stabilité, pour des normes raison- nables et acceptables, et l’exigence de neutralité, afin d’éviter tout préjugé discriminatoire. Pragmatiquement, on pourrait se retrouver dans trois mots : le tact, la justice et la sollicitude ; ce sont des qualités morales et professionnelles à la fois, qui ne peuvent se décréter, et qui font la différence auprès des élèves.
La déontologie, c’est aussi une praxis, c’est-à-dire une manière et des modalités pour la construire, la débattre et l’incarner ; Prairat propose trois voies possibles : un travail d’analyse notionnelle, pour explorer les acceptions et formes du devoir afin d’en clarifier les présupposés et les implications ; un travail à partir des dilemmes pour la réflexion ou « exercices de pensée » qui permettent d’interroger divers cas concrets sur des problèmes singuliers d’où l’induction de la règle pratique générale qui pose problème. Ce sont enfin des exemples de chartes empruntées à différents pays (Suisse, Belgique, Canada) qui ont tenté de résoudre les difficultés de formulation ou d’arbitrage.
Eirick Prairat, La morale du professeur, PUF, 2013. Idem, Enseigner avec tact, ESF, 2017.
LE CONTEXTE PEUT DÉTERMINER VOS BESOINS EN FORMATION
Entre dimension identitaire fortement personnalisante où chacun trouve son sens dans l’exercice professionnel et déontologie partagée (sans être universaliste), il importe de souligner la dimension contextuelle du travail enseignant et la grande variété des situations d’exercice et des pratiques. Ce qui peut faire dire à plusieurs enseignants en éducation prioritaire :
« On ne fait pas le même métier » (sous-entendu : « que tous les autres enseignants qui ne travaillent pas en REP »).
Rendre visibles les composantes du métier
J’ai plusieurs fois, en formation, utilisé le concept de matrice professionnelle que nous pouvons ici reprendre sur la base des « trente compé- tences de l’enseignant moderne », architecture de cet ouvrage. Sur cinq ou six axes qui structurent le métier, des « familles de compétences », dit Perrenoud, viennent s’ancrer trois aires concentriques plus ou moins dilatées.
Le socle, au centre, correspond au « prescrit » du métier, ce qui est partagé par tous : la reconnaissance d’une aptitude à enseigner, que ce soit par voie de concours (CAPES, CAPET, concours de recrutement des pro-
fesseurs des écoles, agrégation), ou par recrutement parallèle ou complémentaire (au statut plus ou moins précaire, maître auxiliaire, adjoint d’enseignement, recruté local, etc.). La base est donnée par le texte du BO (Bulletin officiel) du 29 juillet 2013 encore mal connu des personnels et pourtant important puisqu’il est un appui à leur évaluation (le texte est disponible en annexe ; une « matrice » est proposée sur la base des quatorze compétences citées). Ce socle est invariant, tout du moins théoriquement : « on fait le même métier. ».
La deuxième aire correspond aux « variables objectives » de la situation d’exercice : niveaux d’enseignement (maternelle, élémentaire, collège, lycée, supérieur), zonage (centre-ville, périurbain, néorural, rural), degré de difficulté reconnu (REP, zone sensible), charges ou rôles assumés dans l’établissement (professeur principal, chef de projet, coordonnateur de discipline), spécificités des groupes d’élèves (classes « normales », à projet, spécifiques…). Ainsi, une même compétence peut être objectivement amplifiée dans une situation d’enseignement mais complètement mise en sommeil dans une autre. On ne fonctionne pas constamment à plein- régime et à 100 % des compétences possibles. On retrouve ici un peu la logique qui préside au profilage des postes, actifs dans certains cas (dans les établissements REP, ou encore sur les postes dits DNL, pour « discipline non linguistique »).
La troisième aire correspond à la « dimension personnelle » que vous donnez à votre exercice, la manière dont vous investissez le cadre, ce qu’on pourrait appeler « style d’enseignement », mais pas seule- ment. Vous pouvez vous appuyer sur des compétences extrascolaires qui ne sont que très peu mobilisées dans la classe – 80 % des enseignants sont équipés d’Internet, mais seulement 45 % l’utilisent avec leurs élèves. Ou bien nourrir une secrète passion pour la fréquentation des musées d’art contemporain et vous contenter du simple manuel en cours… de mathématiques. Vous pouvez aussi choisir de nourrir votre activité de ces inclinations pour « colorer » votre pratique.
Empirique quant à l’appréciation du prescrit et à la dimension personnelle, la méthode est efficace en entretien : elle permet de dépasser le stade de la simple impression et la focalisation sur un seul aspect du métier. C’est une question d’abord d’estimation des charges de travail et de temps investi dans la tâche. La seule unité de mesure pourrait être une intensité en
« énergie », chère à André de Peretti (pas, normale, beaucoup). Ainsi, pour chacun, une carte de navigation professionnelle se dresse progressivement, qui fait apparaître des espaces pleins, des écarts plus ou moins grands entre ce qui est mobilisé objectivement (espace clair) et ce que vous mettez en œuvre personnellement (espace foncé). La carte rend possible une analyse partagée de besoins en formation, notamment en jaugeant les zones des variables non couvertes par la dimension personnelle.
Deux exemples de carte de navigation professionnelle
Développons, par exemple, deux cartes volontairement contrastées : la carte de Marie, institutrice de maternelle et celle de Hussein, professeur de technologie en collège REP1.
Marie, institutrice de maternelle
Marie semble très en phase avec sa situation d’enseignement (les deux zones se recouvrent notablement) : en maternelle, elle profite de ses dons manuels et de son goût très fin pour la réalisation pour proposer à ses élèves des situations d’apprentissage toujours variées (élargissement de la zone plus sombre « dimension personnelle »). Très attentive à l’observation des petits, elle interprète rapidement les signes d’essoufflement, d’énervement, pour organiser les différentes activités de la journée.
Elle avoue devoir progresser dans deux domaines différents mais liés (la zone claire « variables objectives » n’est pas couverte) : elle entame un cycle d’activité en EPS, c’est nouveau pour elle et pour les enfants. Les consignes de sécurité relatives aux installations et à leur usage ne sont pas son fort. D’autre part, des petits clans se forment : il faut penser à de nouveaux groupements pour une communication plus harmonieuse.
Comment compte-t-elle s’y prendre ? L’activité EPS fait l’objet d’un stage d’école programmé sur trois semaines ; les domaines de la sécurité, mais aussi les variantes possibles seront envisagés, Marie compte bien les aborder. Puis, avec son autre collègue, avec qui elle « décloisonne », elle s’attellera à la mise en groupe des élèves selon d’autres modes qu’à son habitude.
1. Tous deux avec qui j’ai eu le plaisir de travailler à titres divers (les noms et quelques éléments ont été modifiés pour préserver une « carte » qui est avant tout un instrument de navigation personnelle).
- Hussein, professeur de technologie en collège REP
Bien dans son nouveau métier. Hussein était ingénieur en électrotechnique dans son pays. Arrivé il y a dix ans en France, il a dû se rabattre sur l’enseignement de la technologie et est devenu maître auxiliaire en collège REP. De cette reconversion forcée, il s’en sort très honorablement, avec un bon « relationnel » et un investissement personnel dans le développement d’outils numériques (zones sombres), les élèves accrochent aux activités proposées.
Ses besoins. Son inscription récente au concours réservé aux maîtres auxiliaires lui fait sentir quelques besoins devenus urgents (zones claires) : d’une part, un approfondissement didactique nécessaire sur la connaissance de sa discipline, des objectifs propres, des modes d’évaluation ; d’autre part, des compétences en matière d’accompagnement et d’analyse des travaux d’élèves. Jusqu’à présent, son style était un peu centré sur le fonctionnement règle-application. Guider les apprentissages semble à l’épreuve des faits plus complexe que cela.
Ainsi, au travers de ces deux tranches de vie, avec l’analyse de leur carte de navigation professionnelle, jeune ou moins jeune, primaire ou secondaire, quelle que soit la discipline, penser sa propre formation est une dimension partagée absolument nécessaire. On y voit l’émergence de besoins en rapport avec les évolutions fortes que nous connaissons, parfois aussi d’envies plus personnelles de formation, toutes choses n’étant pas égales.
Faire son plan de formation personnalisé, c’est au moins « coller à la zone claire », familièrement dit, c’est-à-dire se mettre en adéquation avec les éléments prescrits et spécifiques de votre exercice professionnel.
LA FORMATION CONTINUE DES ENSEIGNANTS EST-ELLE EFFICACE ?
L’Institution s’est intéressée depuis quelques années au développement de la formation sur site, en donnant la possibilité aux établissements d’avoir les moyens de leur politique, dans la mise en œuvre de leur pro- jet : le levier formation demeure un moyen efficace de changer, à certaines conditions. Selon les académies, le débat s’est porté sur l’efficacité de telle ou telle modalité de formation d’enseignants ; certains donnaient pour le tout universitaire et privilégiaient la formation individuelle, d’autres pour le pratico-pratique et la formation collective, etc. C’est donc fort à propos qu’une petite étude est venue éclairer ce débat et nous donner quelques clefs1.
Trois facteurs d’efficacité de la formation d’enseignants
Ainsi, à partir des entretiens et des évaluations, les chercheurs ont pu définir trois facteurs de plus grande réussite de formation, tous les trois étant liés entre eux.
La direction pédagogique et incitatrice du chef d’établissement et la présence d’un travail collectif. Plutôt que de questionner la pertinence en termes d’organisation (tradition de l’EN) des différentes modalités de formation (stage individuel au plan académique de formation versus plan de formation d’établissement), l’étude pointe le style de direction : « Encourager les compétences, légitimer et communiquer autour de la formation continue, sous toutes ses formes. » (Voir le chapitre 6 « Travailler en équipe ».)
La démarche formative de type interactif-réflexif de formateurs-médiateurs qui travaille sur la reconnaissance mutuelle, une approche par tâtonnement autour d’activités en lien avec des situations professionnelles contextualisées mais s’inscrivant dans un long terme. Plutôt que de tenter le grand écart impossible, il convient de progresser par petits pas, petits projets, en s’appuyant largement sur l’expérience et les compétences déjà maitrisées des enseignants. En ce sens, la formation devient dispositif de développement professionnel continu sur une durée suffisante.
L’épistémologie du stagiaire, mêlant parcours professionnel, image de soi et, ce qui pose le plus de questions, son rapport au savoir professionnel. La question est posée : « Les enseignants aiment-ils apprendre ? » L’enjeu est de basculer d’une vision prescriptive du métier à l’appréhension et l’acceptation de la complexité, de la souplesse et de la variété nécessaires des pratiques et des pistes de travail possibles.
Se donner des repères pour mieux se former
À part mon niveau de satisfaction, qu’est-ce que je peux retenir de la formation ?
Les acquis de la recherche inter- nationale sur le développement professionnel des enseignants abondamment documentés nous adressent quelques messages forts sur la dynamique des pratiques enseignantes, dont vous détenez vous-mêmes les clefs, et vous ne le savez pas toujours. Pourriez-vous répondre aux questions (voir page suivante) ? Elle participe de cette attitude réflexive sur sa pratique quotidienne qui inspire l’ensemble des autotests présents dans ce manuel.
Saurez-vous identifier votre propre développement professionnel ?
Un développement professionnel soutenu et mobilisateur
Est-ce qu’il combine les besoins des personnes et ceux de l’école ?
Est-ce qu’il engage les enseignants et la direction ?
Est-ce qu’il prend en compte les besoins d’apprentissage des élèves en fonction des classes et des niveaux de scolarité ?
Est-ce qu’il est approprié aux différents types d’enseignement et à une dynamique d’innovation ou d’expérimentation ?
Est-ce qu’il est adapté à l’apprentissage personnalisé des élèves ?
Est-ce qu’il intègre les propositions des enseignants et leur permet de faire des choix ?
Un développement professionnel situé dans la pratique quotidienne
Est-ce qu’il est en relation avec les activités quotidiennes des enseignants ?
Est-ce qu’il comprend des programmes de suivi demandant des applications pratiques aux enseignants ?
Est-ce qu’il demande aux enseignants de réfléchir au travers de supports écrits ?
Un développement professionnel centré sur l’enseignement et les apprentissages
Est-ce qu’il met l’accent sur l’amélioration des résultats des élèves ?
Est-ce qu’il s’intéresse à la manière dont on enseigne ?
Est-ce qu’il aide les enseignants à analyser les erreurs des élèves ?
Est-ce qu’il dote les enseignants d’une grande variété de stratégies pédagogiques ?
Un développement professionnel qui facilite le travail collaboratif
Est-ce qu’il engage les enseignants physiquement, cognitivement, émotionnellement ?
Est-ce qu’il engage les enseignants à travailler ensemble selon des objectifs communs ?
Est-ce qu’il demande aux enseignants un retour sur leurs pratiques et une auto-évaluation ?
Un développement professionnel durable, continu et interactif
Est-ce qu’il exige plusieurs heures de communication sur plusieurs mois ?
Est-ce qu’il donne aux enseignants de nombreuses occasions d’interagir ensemble à partir d’idées et de pratiques nouvelles ?
Est-ce qu’il est mis en relation avec des expériences professionnelles vécues par d’autres, au sein de l’établissement ou ailleurs ?
Extrait de François Muller, Romuald Normand, École, la grande transformation, les clés de la réussite, ESF, 2014.514
ORGANISER SON AUTOFORMATION
Cependant, la formation professionnelle ne peut pas couvrir tous les champs de compétences et répondre à tous les besoins individuels. De plus, les conditions de départ en formation sont plus difficiles aujourd’hui, à cause de l’alourdissement objectif des charges de travail dans les écoles et établissements : travail en équipe, projets pédagogiques, réunions d’information, mais aussi pression sociale et demande des familles qui comprennent mal pourquoi des remplacements ne sont pas organisés. On se trouve dans des situations où les besoins en formation et approfondissements sont énormes, mais ne peuvent être pris en compte. Il faut compter sur d’autres types de ressources, dont celle de l’auto-formation et de la co-formation qui se développent de manière concomitante. Voici, rapidement, quelques pistes pour couvrir les grands champs de compétences.
Je ne peux pas ; j’ai pas été formé.
Les compétences techniques
La certification PIX (ancien C2i, certificat informatique et Internet, voirhttps://pix.fr/enseignement-scolaire/ ) est désormais le niveau exigible pour tout enseignant. On a certes peut- être très bien fait avant et enseigné sans ; on a aussi commencé à écrire sur des tablettes d’argile avant de graver sur le marbre.
Les ressources disciplinaires
- Abonnez-vous ou faites abonner l’école ou l’établissement à la revue professionnelle ou associative de votre discipline ; les thèmes d’actualité y sont traités au même titre que les grands débats, quelques ressources identifiées. Elles sont souvent de grande qualité.
- Inscrivez-vous à un Mooc, parcours de formation en ligne par et pour des enseignants, par exemple en histoire-géographie, le Mooc HG2, la formule du Mooc HG est simple et relève du bricolage. Pendant trois semaines, les sites académiques proposent ensemble des activités. Et Canopé met en place des outils de travail en commun sur Viaeduc. http://hg.ac-besancon.fr/2016/01/10/moochg2-1ere-missions-bisontines/#more-2030 - Faites un tour régulièrement sur le Top 10 des sites disciplinaires du Café pédagogique : la sélection faite par des collègues pour des collègues est toujours pertinente et pleine de surprises (bonnes). Enrichissement
Poursuivez votre développement professionnel en ligne : les multiples dimensions du métier d’enseignant
Pour prolonger les différents aspects abordés dans cet ouvrage, trois sites de facture, d’inspiration et d’origine variée : il y a en a pour tous les goûts (et bien sûr les besoins, en fonction de votre projet).
☛ Encyclopédagogie école primaire : rubrique domaines transversaux, métier d’enseignant, outils et liens : http://p.birbandt.free.fr
Un site personnel davantage consacré à l’école primaire, mais pour les aspects transversaux, il touche tout le monde. Bien fait et pratique. On y trouve par exemple : « Se former en sciences de l’éducation », « Se former en psychologie et sociologie de l’éducation », « Se former en pédagogie générale », « Se former en actualités de l’éducation », « Diversifier sa pédagogie », « Évaluer les élèves », « Élaborer des projets ».
☛ LIFE : Laboratoire de recherche innovation-formation- éducation (université de Genève) : www.unige.ch/fapse/SSE/groups/ life/ (rubrique « chantiers de l’innovation ») • Un site riche d’enseignements et d’articles courts, de fiches de lectures commentées sur les dimensions du métier ; très actuel, il éclaire et donne du sens, ce qui nous manque souvent (en France).
☛Les gestes professionnels à l’école primaire, un portail rassemblant 100 dossiers documentaires, Jacques Fraschini, http://gestesprofessionnels.com
☛ Zoom : la chaîne YouTube de DevPro PD Flipped compile des séries de petites vidéos animées et incisives à l’attention des enseignants (francophones), sur le principe de l’autoformation (flipped) : www.youtube.com/ user/theflippedconsultant/featured
☛ Un site de l’université belge consacré aux recherches dans l’éducation : www.enseignement.be/prof/espaces/fondam/ index.asp • Les fiches sont en PDF (facilement imprimables), illustrées. Court et bien fait. Des thèmes précis sont abordés tels que : « Négocier un contrat de communication », « Gérer les tours de parole », « Formuler des consignes pour mettre les élèves en activité », « Improviser face à un incident critique », « Communiquer une évaluation », « Enseigner avec le (sou) rire et le jeu ». assuré pour vos cours. (Voir aussi la « Webographie » en fin d’ouvrage.) Twitter peut devenir une vaste salle des profs, avec la balise #eduinov par exemple.
Les ressources informationnelles
- Consultez régulièrement un grand quotidien national ; les sites Internet des journaux donnent la possibilité d’en extraire des articles, des photos, etc., autant de supports intéressants pour un cours.
- La presse régionale ou locale est importante pour des enseignants, souvent « immigrés de l’intérieur », un excellent moyen de s’approprier l’espace, le temps et la culture ambiante de son environnement de travail, d’aider aussi les élèves à y entrer, car ils le feront rarement spontanément.
Les ressources professionnelles
- Abonnez-vous ou, mieux, faites abonner votre école ou établisse- ment aux Cahiers pédagogiques, le mensuel du CRAP. Actuellement, ils restent encore la meilleure ressource pour mieux connaître le métier, ses multiples facettes, ses développements, ses pratiques et les débats qui ne manqueront pas d’apparaître dans les prochains mois. De plus, le temps étant toujours compté, c’est un rapport temps/coût/intérêt professionnel excellent.
- Dans un autre registre, plus centré sur les savoirs émergents et la convergence des disciplines, la revue Sciences humaines, de haute tenue et pourtant facile d’accès, pourra nourrir votre réflexion.
- Et toujours, faites un tour de deux minutes tous les jeudis en parcourant (très vite) la livraison du Bulletin officiel sur Internet. Il n’est pas l’apanage d’une « administration » lointaine, il parle de vous !
À compléter utilement avec… de la vidéo en ligne : CAP CANAL, une véritable chaîne de la connaissance et de l’éducation, à Lyon, Grenoble, Rennes et ailleurs, sous la direction de Philippe Meirieu. Le projet : mettre à disposition de tous des ressources audiovisuelles sur l’éducation en constituant une véritable « encyclopédie vidéo » dans ce domaine. L’émission CAP INFO met déjà en ligne une série d’émissions : les récrés, le plaisir de lire, le professeur principal, le métier de collégien, etc. ➥ https://www.meirieu.com/CAP_CANAL_ARCHIVES.htm 517
VOTRE « DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL » DANS UN ÉTABLISSEMENT FORMATEUR
Le concept de « développement professionnel » largement usité par ailleurs est récent en France, où il apparaît explicitement en 2013 dans le référentiel enseignant ; la chose, faussement assimilée aux dispositifs institutionnels de formation, recouvre en fait des pratiques et des modalités plus larges. Car le développement professionnel s’intéresse au pro-cessus d’élaboration de compétences collectives, et notamment à l’articulation entre pratiques individuelles, organisation collective du travail et ressources formatives, en partant explicitement du contexte local et des acquis des élèves1.
Cette nouvelle conception de la formation déplace l’expertise du côté du professionnel, pour peu qu’elle soit partagée et accompagnée ; elle s’organise suivant des modalités renouvelées sur le terrain, que des enseignants collégialement peuvent expérimenter. En voici cinq exemples concrets.
1. Sur le concept de développement et les pratiques afférentes, voir François Muller Des enseignants qui apprennent, ce sont des élèves qui réussissent, le développement professionnel des enseignants, ESF, 2018. De nombreuses ressources sont en ligne à partir du site http:// francoismuller.net et du Mooc Innovation et Education lab, https://www.innoedulab. com/ avec une dimension internationale, 2020.
Cinq manières de s’engager dans son développement professionnel
Ouvrez les salles de classe. Les enseignants, pour sortir du sentiment d’isolement unanimement partagé, compte tenu de l’organisation par- fois tayloriste du temps et des enseignements, disposent d’une solution à portée de leur main ; profitez d’un « trou » dans votre emploi du temps pour vous faire inviter ; soumettez l’idée au conseil des maîtres ou en conseil pédagogique ; profitez du conseil école-collège pour « aller voir ailleurs » ; avec quelques collègues, soutenus par un « accompagnateur » (qu’il soit conseiller pédagogique, formateur, ex-pair), déterminez un objet d’étude ; cela peut être les pratiques relatives à la différenciation, ou encore à l’évaluation valorisante, à la gestion de classe, tout objet professionnel partagé par tous.
Puis, en un retour d’expérience, partagez votre observation pour souligner à la fois la variété des pratiques, les bonnes idées, avec l’aide de votre accompagnateur. Cette déprivatisation de la pratique a des effets formatifs certains sur une durée suffisante, pour tout le monde ; elle permet ensuite de donner de la cohérence à des dispositifs et à d’autres expérimentations.
Regardez le travail des élèves. Lors de ces « voyages pédagogiques », et plus quotidiennement, dans votre propre classe, prenez le temps d’obser- ver les manières de travailler de vos élèves (chapitres 19 et 20) ; faites construire la trace écrite par un élève au tableau et prenez sa place au sein de la classe, aux côtés des autres élèves ; lors de travaux en groupe, mettez-vous à la hauteur d’un groupe, et soyez attentif aux échanges et aux démarches, de sorte à mieux comprendre comment ils com- prennent, comment votre message se transforme dans la trace du cahier d’un élève. À partir de ces petits signes, vous serez amené à reconsidérer ou à adapter votre propre manière d’enseigner1.
1. Ce recentrage explicite sur les élèves rejoint des dispositifs fondés sur les acquis de la recherche et l’expertise développées dans d’autres systèmes. Ainsi, en Nouvelle- Zélande, le système éducatif public, refondé en 1989, organisé par le NZC (New Zealand Curriculum), équivalent du socle commun, a développé une ingénierie de for- mation, en collaboration avec l’université d’Auckland, pour mettre en place un dispositif d’enquête sur les pratiques, intitulé « teaching as inquiry » : la méthodologie se présente comme une boucle vertueuse qui trouve son origine dans l’analyse des acquis et des besoins des élèves pour engager les enseignants dans l’enquête et dans la régulation de leurs pratiques, http://urlz.fr/6QIu
Partagez les études de leçon. C’est la principale modalité de formation au Japon ; les enseignants planifient ensemble une série de leçons ; et en accueillant des observateurs en classes, ils développent ou améliorent une leçon, en recueillant des données pour percevoir l’impact de la leçon sur l’apprentissage des élèves. Cela se produit généralement sur une période de plusieurs mois, à l’échelle d’une école ou d’un établissement, puis en réseau d’établissement. Ce procédé en co-formation est dynamique et permet de faire rapidement monter le niveau de compétence d’une équipe.
Participez à des groupes d’étude. Au sein d’un bassin, ou d’une cir- conscription, parfois d’une académie (à Lyon par exemple, en groupe « de développement professionnel »), des enseignants ou coordonnateurs d’équipes échangent autour d’une problématique choisie, par exemple le décrochage scolaire, ou l’évaluation par compétences, ou les pratiques de l’oral. En séances régulières, sur deux ans et accompagnées par un animateur ou conseiller, on partage en réseau études de cas, analyses de pratiques, élaboration de ressources, visites d’études et dispositifs d’évaluation, de sorte à les transposer au sein de sa propre équipe.
Faites-vous « coacher ». Sollicitez un « ami critique », professionnel du développement, maître enseignant dans une école, spécialiste, peut-être un enseignant expérimenté ; en quelques séances d’observation, puis d’entretien autour de thèmes choisis ensemble (soutien des plus faibles, différenciation, oral des élèves), l’observation gagne à être outillée par un graphique ou par un radar ou par un sociogramme, qui sont autant de bases pour mesurer les interactions et envisager des améliorations.
Par ce type de modalités, à l’échelle de l’unité éducative, les enseignants interagissent régulièrement avec des pairs et améliorent souvent leur performance. Ils représentent un changement dans la psychologie, la pédagogie et l’organisation du développement professionnel. Le processus est itératif et plus évolutif. Ils montrent également que l’enseignement et le soutien pour les enseignants doivent être caractérisés par la persévérance, la pratique et la patience pour construire des compétences durables.
Le changement, c’est systémique, l’équation à cinq variables
Participer activement au changement dans un établissement induit une certaine complexité de la pensée et de l’action, irréductible à certains truismes en vogue portant sur le projet, le programme et les techniques données pour efficaces. Les résistances ou les inerties sont d’une grande banalité et l’accord de tous sera moins important que l’instauration de rapports plus professionnels, faits de confiance et de confrontation mêlées, sans doute plus constructifs que l’idéal fusionnel.
À l’épreuve des faits, comme dans les études documentées, nous pouvons constater l’alignement de cinq caractéristiques faisant système :
Les équipes font le pari de l’éducabilité pour tous. « Tout le monde est d’accord avec le fait que, jusqu’à ce que chaque élève ait réussi son examen final, on ne se repose pas » (chapitre 29).
Concrètement, cette position veut dire que les établissements font attention aux résultats de tous et s’équipent de moyens ou supports d’évaluation pour soutenir les apprentissages, plus que pour les sanctionner (chapitre 14).
Une différenciation des approches. Dans un collège du Poitou, tous les enseignants ont suivi une formation à la pédagogie différenciée et for- ment des groupes de compétences. Pour une école élémentaire de Paris, ce qui compte, c’est « la différenciation, pas la remédiation ».
- Ne pas hésiter à bouleverser l’organisation. Dans un lycée de Vendée, l’emploi du temps suit une organisation par sujet d’étude. Dans une école à Toulon, on a bloqué la matinée pour la lecture et l’écriture. Mais cela intéresse également la répartition des enseignants. Dans une école du Centre, le principe de base est que « tous les niveaux d’élèves doivent avoir accès aux enseignants les plus expérimentés ».
- L’importance de la communication entre enseignants. « On va dans la classe d’un collègue très régulièrement. » Les directions impulsent des groupes d’observation et d’analyse où on partage les expériences parce que « atteindre ses objectifs est vu comme une activité collective et coopérative ».
Nombre des actions évoquées dans cet ouvrage partagent ces caractéristiques, qui montrent à la fois la complexité du changement dans notre École, l’impact sur les pratiques et tout l’intérêt qu’en retirent les élèves. Elles pointent explicitement la liaison entre « bonnes » pratiques, si on l’accepte ce terme, et l’organisation du travail dans l’établissement, pour peu qu’elle s’assouplisse.
Cette dimension systémique du « développement professionnel » intéresse de très près les équipes engagées dans la conduite du changement ; enseignants, chefs d’établissements, en s’autorisant à toucher au cadre du travail (temps, contenus, groupements etc..) créent les conditions d’un apprentissage collectif sur de nouvelles manières de faire. La formation peut y contribuer, mais pas toute seule. L’accompagnement sur la durée et l’évaluation des effets seront des facteurs d’efficacité aussi importants.
[1] Philippe Gay et Philippe Genoud (Haute école pédagogique du Valais et Université de Fribourg) Recherches en éducation (n°41) l'apport des compétences émotionnelles au métier enseignant. 2021
AUTOTEST :CONSTRUISEZ VOTRE CARTE DE NAVIGATION PROFESSIONNELLE
En prenant appui sur les trois exemples détaillés dans le présent cha- pitre, construisez votre propre carte de navigation professionnelle, à par- tir de la matrice présentée page suivante.
Deux aires sont donc à définir : l’aire du prescrit (ce que je dois faire) et les compétences que vous devez mettre en œuvre dans votre exercice (ce que je sais bien faire). Puis l’aire de la dimension personnelle, les compétences que vous maîtrisez (ce que j’aime bien faire).
La seule unité de mesure est l’intensité en « énergie » (pas du tout ; normale ; beaucoup). C’est d’abord une question d’estimation des charges de travail et de temps investi dans la tâche.
En matière de besoins en formation, quelles sont les priorités qui apparaissent, et celles que vous retenez pour les mois à venir ?
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La musique du jour
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