https://open.spotify.com/episode/0OUW6F91vN9vKtjhWK6REc?si=MMbmcOZDTDS6KIOJh1ZSYg
top of page

Malaise (3), analyse de la situation professionnelle


Les enseignants sont attachés à une déontologie, faite de mots et de valeurs, et à un certain style de vie, ainsi que le décrivent les sociologues du travail en évoquant les « knowledge workers ».


De nombreuses inquiétudes traversent le corps enseignant : sentiment d’isolement, émiettement des temps de formation, prescriptions incomprises, perte de crédit auprès des parents, climat scolaire souvent lourd dans nombre d’établissements.

Il est possible que certains conflits psychiques internes entrent en résonance avec une dérégulation d’un vieux système institutionnel en mutation accélérée à présent post Covid. « Malaise » est un mot commode pour exprimer des sentiments de «déprofessionnalisation » : la dimension affective et éducative du métier entre en tension avec une logique d’enseignement plus instrumentale. La surcharge de travail peut aussi être paradoxalement liée aux tentatives des enseignants de satisfaire simultanément les demandes officielles la situation locale (spécificités des élèves et contraintes sanitaires par exemple),et leurs propres conceptions du métier.



 Quelles ont été vos motivations à devenir enseignant ?


Les experts européens notent une complexification croissante du métier, liée aux réformes, ce qui génère un « malaise enseignant », souligné par neuf enseignants sur dix. Au total, six sur dix se sentent personnellement concernés, particulièrement les plus expérimentés. Le cap des vingt ans de métier se révèle souvent déterminant. Ce livre leur est aussi dédié.

 

Les sources de stress sont relativement bien repérées et fréquemment citées

(d'après  Laurence Janot Bergugnat, Nicole Rascle, Le stress des enseignants, Armand Colin, 2008.)

 

  • La surcharge de travail : c’est le cumul des contraintes, venues se rajouter progressivement dans le métier, associé à une forte intensité du travail enseignant du fait de la multiplicité des opérations à effectuer en classe sur une durée très courte (répondre, écouter, se déplacer, écrire, maintenir l’ordre, gérer la dynamique du groupe tout en étant attentif aux individus…), d’autant plus quand on commence dans le métier.

  • Une charge émotionnelle et physique importante dans un métier de relations intenses, des pauses peu fréquentes, du bruit, du matériel et des locaux parfois vétustes et peu adaptés. Cette accumulation d’activités entraîne chez l’enseignant le sentiment d’une usure quotidienne et d’un travail dans l’urgence.

 

  • Le conflit de rôle : être confronté à des ordres paradoxaux (programme/ socle), des pressions émanant de sources différentes (projet d’établissement / inspection disciplinaire), et parfois en opposition avec ses valeurs personnelles, comme par exemple, être pris entre la demande du groupe- classe et les besoins spécifiques de certains élèves, parfois dits « à besoin particulier », dans le premier degré, dans quasiment chaque classe.

 

  • L’ambiguïté de rôle : face au rythme de publication de nouveaux textes liés au changement (trop) régulier des ministres, l’individu au travail ne sait pas ce qu’on attend de lui, quels objectifs précis il doit atteindre et enfin quelle est l’étendue de ses responsabilités.

 

  • Les élèves en difficulté : cette notion peut se révéler subjective. Plus les enseignants sont sensibles au stress et plus ils signalent abusivement des enfants en difficulté ;

 

  • ¨La difficulté à intéresser les élèves : ceux-ci peuvent ne pas adhérer du tout au projet scolaire qui leur est offert; il s le signifient par l'agitation ou l’apathie, la perturbation, la démobilisation face au travail. Avoir un cours bien préparé et faire preuve de compétences psychosociales pour le prof ne garantit pas un comportement positif envers le travail  scolaire de la part de tous les élèves.

  • Le manque de reconnaissance : il s’agit de changer le regard non tant des élèves mais plutôt de la part de la hiérarchie, des collègues, des parents et de la société en général ; on mentionne encore trop souvent le manque de soutien de la hiérarchie et les relations conflictuelles entre collègues1. Dans le second degré, 48 % des personnels se disaient en 2016 insatisfaits du climat scolaire de leur établissement. Et c’est 51 % des professeurs de l’enseignement général et 64 % de ceux des filières professionnelles. Au primaire, 34 % des enseignants parlaient de climat dégradé. 41 % des personnels du second degré se disaient insatisfaits du métier. D’après Eric Debarbieux, Ne tirez pas sur l’école. Réformez-la vraiment, Armand Colin, Paris, 2017.

 

 

LA « SUR-VIE », ÉQUILIBRE ET DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL


À l’inverse, l’équilibre entre un travail dans la classe et une collégialité, une ouverture de l’école sur le quartier et une collaboration avec les partenaires, un management plus confiant et responsabilisant en même temps, une reconnaissance à la fois individuelle et collective, notamment par un déroulement de carrière attractif et la création de nouvelles fonctions donneraient plus d’opportunités aux enseignants pour résoudre les problèmes et faire face aux difficultés On retrouve quelques principes de la 4e voie, développée par Andy Hargreaves dans La face cachée des réformes, 2011.

 

Dès à présent, à défaut d’une réelle médecine du travail, voici une sorte de recette « anti stress » immédiate et concrète pour les profs, à appliquer dans sa classe et son établissement :

 

  • connaître ses limites et savoir repérer les manifestations psychophysiologiques du stress pour protéger sa santé[1] ;

  • connaître ses faiblesses « métier » ;

  • apprendre à développer des stratégies efficaces et protectrices pour faire face ;

  • ¨rechercher du soutien (les ateliers d’analyse des pratiques ou rejoindre  des communautés numériques par exemple sont à ce titre protecteurs) ;

  • suivre plus personnellement une formation pour devenir autonome dans la gestion de son stress et prendre en charge sa santé ;

  • s’intégrer à des groupes de travail sur les transformations des pratiques.

 

[1] Philippe Gay et Philippe Genoud (Haute école pédagogique du Valais et Université de Fribourg) Recherches en éducation (n°41) l'apport des compétences émotionnelles au métier enseignant. 2021



Ce sont des objectifs explicites pour ce manuel de survie, c’est-à-dire   d’accroissement du potentiel d’activité et de développement de stratégies, d’étude de la variété des possibles en pédagogie. 


On parlerait presque de ruse (1), à la manière d’Ulysse, quand, dans son retour toujours incertain, pris en défaut ou en faiblesse dans des situations difficiles, il parvint toujours à s’en sortir ; cette habilité à la fois intellectuelle et pragmatique lui permit d’exploiter le « potentiel de situation » plutôt que de rester campé sur un programme d’où il ne serait sorti.

 

(1) C’est le titre précisément d’un ouvrage d’Yves Guégan, Les ruses éducatives – 100 Stratégies pour mobiliser les élèves, ESF, 2009.

 

 La musique du jour



Comments


bottom of page