Le développement du numérique bouscule l’école. L’espace devient poreux par exemple par la mise en place des ENT (environnement numérique de travail) ou l’utilisation d’Instagram ou de Tiktok en classe et dans la poche de chacun de nos élèves : la classe devient « monde ». Le temps scolaire se prolonge grâce aux réseaux de telle sorte que la frontière entre l’éducation formelle et l’accompagnement scolaire se brouille. Les ressources pédagogiques se perdent dans un océan d’offres de toutes sortes… Un rapport de l’IGEN (Inspection générale de l’Éducation nationale)1 mesure l’ampleur du changement : « Dans cette nouvelle configuration, l’organisation de l’école est appelée à se modifier, que ce soit dans les contenus étudiés, les formes de travail des élèves ou le service des enseignants. »
Le numérique change l’environnement d’apprentissage et permet de reprendre la question « Comment apprend-on ? » sous des angles nouveaux. L’École mute dans sa forme : plus informelle, plus coopérative, plus personnalisée. Autant de défis à relever par chacun d’entre nous. Localement, des équipes n’hésitent pas à « upgrader » leur dispositif d’enseignement.
ECLA, la création d’un espace d’innovation pédagogique à l’ère du numérique, Collège Jean- Philippe Rameau, Champagne- au-Mont-d’Or, académie de Lyon, prix de l’innovation 2016- ECLA (ECole pour L’Avenir), un nouvel « espace-temps scolaire à l’ère du numérique », premier Learning Lab dans l’enseignement secondaire en France.
Toute l’équipe a imaginé des espaces de travail où l’environnement est repensé pour rompre radicalement avec le schéma traditionnel d’une salle de classe classique et permettre ainsi davantage d’ouvertures pédagogiques. Dans cette réflexion, les enseignants ont souhaité rompre avec le schéma classique des salles de réunions qui ne favorisent pas leur posture active en réunions de travail institutionnelles. Pour cela, l’équipe a créé des espaces de travail collaboratif, lieux de rencontres et d’échanges de pratiques originaux, pour optimiser le travail et le bien-être des élèves. Les enseignants ont établi des plans de salles, créé du mobilier et utilisé des matériels atypiques en milieu scolaire .
Il s’agit bien d’« un renouvellement profond de la pédagogie et de la didactique. […] C’est dans toutes les disciplines et dans la transdisciplinarité que devront être mis en place des outils pédagogiques adaptés à une nouvelle approche des savoirs. Deux objectifs doivent guider l’élaboration de ces nouveaux outils : l’individualisation des parcours et l’interactivité ». L’Inspection générale identifie quatre vecteurs à moyen terme : la documentation, la pédagogie, la communication et l’évaluation.
Rapport de l’IGEN, mai 2017, Repenser la forme scolaire à l’heure du numérique, vers de nouvelles manières d’apprendre et d’enseigner.
Ce développement du numérique à tous les étages de l’École se heurte à plusieurs contraintes. La place, le rôle et le service des enseignants devront évoluer dans le sens de la mutualisation des pratiques ; ce ne peut être le rôle de quelques-uns, les élèves ne le comprendraient pas ; cette mutation s’opère actuellement d’abord localement, et à bas bruit, sans forcément attendre une refonte du statut, encore hypothétique.
LE NUMÉRIQUE, C’EST TENDANCE ?
Ce serait plutôt un changement d’ère ; le numérique modifie l’environnement et cela modifie les relations entre acteurs et l’organisation scolaire. En éducation, on peut aussi se livrer à quelques prospectives. Le rapport «Future learnings »2 de la commission européenne cartographie ainsi les changements dans l’éducation scolaire du point de vue de l’enseignant. L’analyse des pratiques numériques à l’école a manifestement mûri en dix ans : autrefois fortement centrée sur les solutions technologiques et marquée par une certaine fascination pour le « nouveau » (enseigner avec le numérique), la réflexion se focalise plus sûrement sur les processus d’apprentissage, la conduite du changement dans l’organisation, et son impact sur les métiers.
D’outil relégué dans une salle spécialisée ou dans un champ disciplinaire, le numérique acquiert une dimension beaucoup plus professionnelle, car il sert les missions de tout enseignant en focalisant sur l’unique question : apprendre et faire apprendre à l’ère du numérique.
L’organisme THOT Cursus à partir de l’étude sur les dix ans des « meilleures pratiques de l’éducation web 2.0 »1 propose une typologie :
Des modifications du rapport au savoir et de la construction des savoirs : la dimension sociale, constructive, coopérative est mise en avant, tout comme celle du jeu en éducation, longtemps bannie de l’École. L’apprentissage par les pairs est valorisé ; la certification reste du domaine de l’institution. L’application PIX suit le parcours des jeunes, du collège au supérieur.
De nouveaux outils et supports pour apprendre : le numérique permet d’envisager des formations hybrides, mixant le présentiel et la distance, le synchrone et l’asynchrone, des termes dont les subtilités et les difficultés ont meublés les longs mois de la crise sanitaire de 2020-2021.
Une formation à distance qui améliore l’accès à l’enseignement supérieur et répond à l’élévation du niveau d’étude et au nombre croissant d’étudiants. Un gap pour améliorer significativement la liaison lycée-supérieur, à l’ère de Parcoursup.
Nous sommes revenus du mirage numérique où certains pensaient que la seule exposition à l’écran aurait des vertus d’apprentissage. Aucune étude sérieuse ne peut le soutenir.
Le document est accessible sur http://urlz.fr/6vKA Voir aussi la carte heuristique sur http://urlz.fr/2KDm De même, le portail de Charles Lebrun est consacré aux impacts des TICE dans l’enseignement : http://urlz.fr/6vKD À retrouver sur http://urlz.fr/6vKE
Acquérir des compétences
Les TICE s’ajoutent à mon programme. Ce n’est pas ma priorité ni mon objectif.
pour être autonome reste la qualité de l’apprenant, pas celle des outils numériques. L’élève a besoin d’avoir les bonnes stratégies, par exemple de planification de son apprentissage, d’adaptation face à des difficultés, d’aller chercher de nouvelles ressources, etc., d’autoévaluation pareillement, pour prendre de l’information et se positionner, avec, par ou, parfois… sans le numérique1.
CONJUGUER SA DISCIPLINE AVEC LE NUMÉRIQUE
Dans une organisation (secondaire) structurée en disciplines, en horaires de cours, le numérique suggère décloisonnement et combinaison, autour des apprentissages des élèves et des compétences, tels qu’ils sont organisés dans le Socle commun, référentiel obligatoire pour tous les élèves. Fortes de cette nouvelle « donne », certaines équipes en profitent pour moderniser leurs outils.
Par exemple au collège André-Chénié, à Orléans, l’équipe pédagogique initie un travail de transformation en profondeur de son enseignement : les cours sont mis en ligne sur la plateforme académique « moodle ». Pour valider des compétences, cette dernière propose un travail plus varié en cours, favorise l’autonomie des élèves, développe une aide personnalisée et des progressions différentes selon les besoins des élèves (notamment par la mise en place d’un suivi pour les absents). La plateforme facilite la mutualisation des ressources au niveau disciplinaire, mais permet aussi à l’équipe de développer l’interdisciplinarité et d’aborder ensemble des enseignements comme l’Histoire des arts.
1. Franck Amadieu et André Tricot, Apprendre avec le numérique, Mythes et réalités, Retz, 2014.
INTÉGRER LE NUMÉRIQUE DANS LE PARCOURS DE FORMATION DES ÉLÈVES
J’ai essayé de mettre mes élèves sur une recherche Internet, mais quel temps perdu pour si peu de résultats !
Une fois passées les principales résistances à l’outil, il n’en reste pas moins que les activités possibles et les pratiques effectives numériques à l’école doivent être interrogées au même titre que toutes les autres. Tout n’est pas numérique et le numérique n’est pas tout. Les compétences travaillées se retrouvent en cinq familles :
❏ coopérer et mutualiser ;
❏ produire et créer ;
❏ rechercher et se documenter ;
❏ se former, s’autoformer ;
❏ animer, organiser, conduire.
Bonus Web ☛ Le site Eduscol (volet numérique), pour chacun de ces domaines, propose dans une page portail des tableaux synthétiques très aisés dans leur emploi, montrant les champs d’application, la valeur ajoutée du numérique, et des exemples en ligne. Un site très varié et riche : https://eduscol.education.fr/103/j-enseigne-avec-le-numerique
Communiquer et coopérer en classe
Les fonctions de recherche et de production sont bien investies par l’enseignement ; la fonction de communication et de coopération l’est moins. Une invitation à la pratique avec ce témoignage précieux pour tous.
Guillaume Caron, professeur de mathématiques au collège, engage ses élèves dans la résolution de problèmes et la communication de figures (exercice certes traditionnel) par Twitter interposé avec des CM2 à plu-sieurs centaines de kilomètres : « Une heure de pur bonheur vécue avec mes sixièmes. »
Blog de Guillaume Caron, https://guillaumecaronmaths.wordpress.com/
« Certains groupes aboutissent à une figure qu’ils envoient en photo via Twitter à leur groupe jumelé quelques centaines de kilomètres plus loin ! Une d’entre elles est bonne, pas les autres… les @CM2_A commencent alors à retravailler leur programme ou précisent en direct… D’autres sont bloqués et n’arrivent pas à construire, ils tweetent pour demander des précisions. Les élèves échangent même sur du vocabulaire (droite, segment, etc.). Vous savez ce fichu vocabulaire qu’ils n’apprennent pas et qu’ils utilisent n’importe comment…
« Bref, ça part dans tous les sens mais je jubile ! Les voir affairés ainsi les yeux écarquillés tentant de comprendre, guettant les tweets pour avancer, en écrivant d’autres pour interroger est un plaisir indescriptible. Plus d’élèves en difficulté, plus de premier de la classe… des élèves qui coopèrent pour atteindre leur but ! Du bruit pédagogique !
« Les plus avancés peuvent à leur tour élaborer des programmes à tweeter, imparfaits… ils auront des questions en retour… des questions sur le chemin de la construction de concepts, de la maîtrise du vocabulaire. Mais oui, ils parlent de losanges, de rectangles, de demi-cercles, de rayon (« mais non, pas diamètre ! Rayon, je te dis ! »). Et je n’ai rien à dire, juste à valider les tweets… proposer un dictionnaire, prendre une photo… Je n’ai pas le contrôle sur les contenus, sur le comment faire… et au fond, plus j’accepte de le perdre, plus j’aime ça. »
Quatre conseils pour réussir avec le numérique
En matière de conduite de classe, le TBI dans un étrange paradoxe peut renforcer un enseignement fort magistral ; cependant, les supports numériques s’accommodent mal d’une pratique frontale, purement disciplinaire, Ne serait-ce que par sa mise en scène – une moitié de classe, un poste pour un ou deux élèves, la possibilité d’avancer à son rythme –, cette situation requiert de la part de l’enseignant :
une maîtrise des objectifs assignés à la séquence. Pour éviter la dérive de l’occupationnel (le numérique pour le numérique) ou la perte de temps, vérifier toujours son ancrage aux objectifs ;
un pilotage par projets, assez souple et réactif aux occasions rencontrées ;
la capacité d’organiser, suivre et évaluer les travaux par groupes ;
la possibilité éventuellement de s’appuyer sur d’autres intervenants (documentalistes, enseignants d’autres disciplines, assistants d’éducation), et donc de travailler en équipe et en interdisciplinarité
Si l’idée ou l’occasion ne vient pas à vous, pour s’engager avec vos élèves dans des micro-projets, on retiendra par exemple :
mettre en voix un diaporama avec le logiciel Photorécit[1] ;
créer un livre interactif avec Didapag[2]e ;
créer la carte d’identité (d’un arbre, d’un livre, d’un pays, d’un événe- ment historique…) ;
organiser une visioconférence avec des correspondants francophones à l’aide de Skype ou de Zoom ;
réaliser un photomontage avec Photofiltre[3] ;
créer un blog de classe sur lewebpedagogique (gratuit et sans pubs) ;
participer à un défi lecture ou un défi maths via Twitter ;
organiser une visite virtuelle du quartier, de la ville, du pays via googleearth.
[1] Voir urlr.me/sm741
[2] Voir urlr.me/RjdWT
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