Quel est le point commun entre l’invention de la roue, Pompéi, le krach boursier de 1987, Harry Potter, Internet et on le sait à présent, la crise mondiale du Covid 19 ? Ce livre révèle tout des Cygnes Noirs, ces événements aléatoires, hautement improbables, qui jalonnent notre vie : ils ont un impact énorme, sont presque impossibles à prévoir, et pourtant, a posteriori, nous essayons toujours de leur trouver une explication rationnelle.
Dans cet ouvrage éclairant, plein d’esprit et d’impertinence, Taleb nous exhorte à ne pas tenir compte des propos des « experts », et nous montre comment cesser de tout prévoir ou comment tirer parti de l’incertitude. A découvrir. Libano-américain, Nassim Nicholas Taleb est écrivain et philosophe des sciences du hasard. Depuis 2007, il est l’essayiste le plus lu et le plus traduit dans le monde. Ancien trader des marchés, Taleb se consacre aujourd’hui à l’écriture et enseigne les rapports entre l’épistémologie et les sciences de l’incertitude à l’Institut polytechnique de la New York University où il a reçu le titre prestigieux de distinguished professor. Best-seller traduit en vingt-cinq langues, son premier ouvrage, Le Hasard sauvage a paru aux Belles Lettres en 2005.
« Taleb a changé notre façon de penser l’incertitude. » Daniel Kahneman, prix Nobel.
De lui, on dit qu’il est le « penseur de l’incertitude ». C’est son dernier livre, « The Black Swan », autrement dit « le cygne noir », qui peut servir de clé de lecture à certains des événements spectaculaires qu’a connus la planète au cours des dernières années. Qu’est-ce qu’un « cygne noir » ? C’est, affirme Taleb, « tout ce qui nous paraît impossible si nous en croyons notre expérience limitée ». L’expression a du sens. Dans l’hémisphère nord, tous les cygnes sont blancs. A force de les observer, on pourrait conclure qu’il n’en existe pas d’une autre couleur. Et puis, un jour, on prend l’avion pour l’Australie et on découvre, interloqué, que, là-bas, les cygnes sont tous noirs…
Les trois marqueurs du "cygne noir"
Pour mieux préciser les choses, Nassim Nicholas Taleb estime que le « black swan » est un événement qui possède trois caractéristiques. En premier lieu, il s’agit « d’une observation aberrante », car rien, dans le passé, n’a laissé prévoir de façon convaincante et étayé sa possibilité. Qu’un trader lambda puisse faire perdre 5 milliards de dollars à la Société Générale n’a ainsi jamais fait partie des hypothèses plausibles au sein de cette banque qui a longtemps été perçue comme efficace en matière de contrôles internes.
En second lieu, cet événement inattendu a des considérations considérables. « Considérez le grain de poivre et mesurez la force de l’éternuement », dit un proverbe persan. Et c’est bien de cela qu’il s’agit. Jérôme Kerviel, par ses agissements supposés, a mis en branle une mécanique dont on ignore encore toutes les conséquences. Certes, la Société Générale semble décidée à se battre pour continuer à rester indépendante mais personne ne peut affirmer aujourd’hui qu’elle ne sera pas rachetée par l’une de ses concurrentes. Pire, qui peut exclure que d’autres fraudes ne seront pas découvertes dans les prochaines semaines et, de toutes les façons, qui peut affirmer à cent pour cent que la « Soc Gen » se relèvera de ce scandale ?
La troisième et dernière caractéristique est liée à la nature humaine et à notre besoin permanent de rationaliser et de donner de la cohérence au monde et aux événements qui nous entourent. Pour le philosophe, le « cygne noir » est aussi un événement vis-à-vis duquel nous « élaborons toujours après coup des explications qui le font paraître plus prévisible et moins aléatoire » qu’il n’était vraiment. En clair, c’est un événement dont nous cherchons coûte que coûte à gommer le caractère inattendu ou improbable.
Au lieu d’élaborer une pensée « probabiliste complexe », nous continuons à voir le monde à l’aune de la courbe de Gauss, c’est-à-dire, quelques rares extrêmes de part et d’autre et une cloche où se concentre la plus grosse moyenne. Or, justement, les « cygnes noirs » sont autant d’événements pour lesquels la courbe de Gauss n’est pas valable. L’occurrence de tremblements de terre, de tsunamis ou de crises financières ne peut se décrire qu’avec des modèles mathématiques plus compliqués que la courbe de Gauss.
En partant de ces constatations, Taleb propose un prolongement intéressant du concept de « cygne noir ». Pour lui, nous ignorons le monde tel qu’il est parce que nous pensons que, grosso modo, nous partageons tous le même quotidien. Or, la réalité, c’est que notre monde est de plus en plus régi par des éléments qui échappent à la courbe de Gauss et que le philosophe qualifie « d’Extremistan » ce qui, en employant une expression triviale, pourrait se résumer par « un monde de toujours plus et d’encore plus ».
Alors, pas de cygne noir en éducation ?
Quel serait alors le phénomène à bas bruit dans notre "monde" de l'éducation et de la formation qui réunit les trois marqueurs du "cygne noir" : Le Cygne noir a-t-il du sens en éducation ? Impact énorme, impossibles à prévoir, et pourtant, a posteriori, repris dans une explication rationnelle.
Nous pouvons avancer.... le livre à l'époque de Gutenberg, Internet dans les années 2000, l'I.A. en 2022: ils ont en commun de poser la question de la transmission de la connaissance et de la relation entre les élèves et leur enseignant. Comme aussi la nature même de la connaissance et des compétences à présent où il conviendrait mieux de savoir chercher que de maitriser.
doc la crise inflammatoire du système scolaire, extrait du "Manuel de survie à l'attention de l'enseignant", 7ème éd., 2023
Du côté des élèves
Nous pouvons évoquer sans hésitation la crise du Covid 19 qui a arrêté l'Ecole, quand aucune autre guerre ne l'a jamais fait auparavant: arrêter l'Ecole, malgré la "continuité pédagogique" en France comme tentative d'endiguement, c'est à dire fermer le lieu de l'apprentissage collectif et présentiel, le lieu de sociabilité juvénile pour reporter à la sphère privée la question de l'apprentissage et du développement professionnel; cet épisode d'une Ecole "hors les murs" bouleverse profondément la représentation du monde et la relation que chacun ici, jeune comme enseignant, entretient avec son prochain. Nous avons mené l'enquête dans plusieurs dizaines d'établissements et avons fait écrire les élèves sur ce sujet; les mots sont hauts en couleur, autant de messages clairs à l'attention des collègues. Qu'en faisons-nous ?
extrait du corpus des écrits des élèves, académie de Guadeloupe, 2022
Au retour sur les lieux scolaires à présent, même en 2024, nous mesurons, et pas tout à fait encore, les liens distendus des jeunes élèves vis à vis de la "forme" scolaire, du rapport aux devoirs, du respect vis à vis des adultes, et de leur propre image; ce sont les psychiatres qui nous interpellent en ce moment sur la faille de beaucoup d'élèves. A suivre.
Du côté des profs
Pour autant, la crise inflammatoire a-t-elle touché les enseignants ? Oui, comme tout le reste de la population; et les incidences professionnelles sont nombreuses; à analyser la nature des échanges et les modalités du travail, le Retex (retour d'expériences) dans nombre d'équipes, nous pouvons reprendre la carte professionnelle en la marquant de quelques étoiles
La conclusion est plutôt positive : soyons ouverts au « différent » à l’improbable, à l’inconnu, à la surprise (donc au démenti et à la critique) et tirons profit des cygnes noirs. Cette conclusion optimiste me paraît typiquement américaine et illustre un des ressorts du dynamisme de ce pays ; la même expérience personnelle, professionnelle et de recherche en France aurait pu mener à un livre pessimiste et grinçant. D’ailleurs, Taleb aurait-il pu être universitaire chez nous et faire les recherches approfondies qui font la solidité de ce livre à la bibliographie impressionnante ?
(d’aprés les critiques de CLioweb et de http://www.bakchich.info/article2665.html
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