La droiture chevaleresque repose-t-elle sur la discrétion ou sur l’audace ? Notre devoir de personnes « adoubées » (professionnellement) est-il de questionner ou de freiner les curiosités ? L’exemple de Perceval peut nous instruire.
Ce Perceval[1], fut par sa mère, dit-on, mis à l’écart du monde, son père et ses deux frères étant morts en des combats de chevaliers, Naïvement, il prend cependant le large un jour et dans les campagnes moyenâgeuses, il est amené à se saisir d’armes et à se battre par souci de justice ; il fait si bien qu’il est amené bientôt auprès du Roi Arthur qui l’ordonne chevalier à l’encontre de la volonté de sa mère.
Il pourrait rester tranquille à la cour du Roi Arthur, mais là, comme dans tous les autres lieux de son errance incohérence, il s’en va. Au hasard des chemins et des rivières, il rencontre sur un bateau un homme infirme à propos duquel il ne s’informe pas. Mais celui-ci l’invite dans sa demeure, par delà une colline. Perceval découvre alors un superbe château dans lequel il est alors noblement accueilli. De multiples serviteurs s’ingénient à le débarrasser de sa cuirasse, de ses cottes de mailles et de ses armes. Il se voit alors invité à la table de son hôte. Des mets succulent se succèdent.
Chaque fois qu’ils sont à portée, Perceval voit passer devant leur table une demoiselle tenant une coupe (Le « Graal » ) suivie d’un homme tenant une lance dont perle une goutte de sang : il entrevoit également dans une pièce voisine un malade, mais à propos de tous ces faits surprenants, il s’abstient (poliment ?) de poser des questions. Car il a reçu une solide formation de bienséance. Il importe de ne pas être indiscret, ni de se montrer curieux. Mais il faut prendre les choses telles qu’elles sont.
Toutefois, Perceval se propose d’éventuellement questionner son entourage, sur ces faits qui l’ intriguent et le troublent dès le lendemain.
Cependant, le lendemain, Perceval se retrouve tout seul dans le château, toutes les portes sont fermées sauf celles qui le conduisent vers la sortie. A peine a-t-il dépassé le pont-levis que celui-ci se referme. Perceval doit continuer son erre qui le conduit bientôt vers une « pucelle » en « gran’douleur » tenant couchant sur elle le corps d’un chevalier dont la tête est tranchée.
Comme il indique à cette pucelle qu’il vient du château, celle-ci lui révèle que c’est celui du riche Roi pécheur qui perdit l’usage de ses jambes au cours d’une bataille ; elle lui demande alors s’il a questionné le Roi à propos du défilé répété des personnes tenant le Graal et la lance. Il répondit qu’il n’avait rien osé dire. Et se souvient alors de son propre nom : « Perceval le Gallois ».
Courroucée, la demoiselle, d’un coup se dresse devant lui, et le traite de Perceval « le chétif », lui révélant que s’il avait posé les questions utiles, il aurait redonné la santé à ce Roi qui était son parent et lui révèle aussi qu’elle est sa cousine germaine et que sa mère est morte de douleur pour lui. Perceval comprend alors qu’il a manqué de recevoir le saint Graal et la lance qui lui étaient destinés et qu’il lui faudra errer de combat en combat, de détour en détour, ne restant jamais un jour de plus aux endroits où il lutte et demeure vainqueur, avant de retrouver parents, Graal et lance.
C’est-à-dire pour Chrétien de Troyes et ses successeurs au terme de milliers et milliers de vers !
Se frotter à l’incertitude et à autrui, des principes pour la formation
Cet exemple fâcheux d’un silence qui condamne à l’errance fut proposé par un participant d’un séminaire de formation, faute de n’avoir pu ou su ou oser poser la question qui s’imposait pourtant pour lui.
Lors des Journées de l’innovation, organisée au siège de l’UNESCO à Paris en 2011 (video) par le Ministère de l’Education Nationale (Dgesco), en conclusion de tables rondes et de présentations d’équipes sélectionnées pour leurs pratiques, Edgar Morin reprend le haut intérêt pour tous, élèves comme adultes, d’apprendre l’incertitude, le questionnement méthodique et la compréhension d’autrui. Il répond de certaines manières à la résolution du complexe de Perceval. Oser questionner, varier les questionnements, analyser sur plusieurs niveaux ce qui nous parait pourtant s’imposer, pour en discerner ce qui peut changer, ce qui peut s’améliorer, ce qui aura de l’intérêt pour nous, pour la suite, pour d’autres.
La fonction publique requiert une responsabilité de réflexion et d’interpellation, pour assurer correctement l’application de procédures et de réglementations. Tout ce qui pose question doit être examiné sans délai, avec initiatives responsables. A défaut de quoi, la fonction publique dégénère en bureaucratie : en ce que celle-ci se bloque pour une application stricte, sans question ni ajustement, les processus et règlements, enrayant les possibilités d’une correcte solution.
Il nous faut, à nous enseignants, toujours savoir poser la bonne question à temps, sans perdre les justes occasions. Ce peut être pour la vie de la classe, l’interprétation des programmes, l’évaluation de nos élèves, l’organisation même de nos équipes. Mais la préparation et la mise en œuvre des changements adéquats nous importent au premier titre.
Comme un répertoire de questions roulantes…
Ainsi, parce que Perceval est resté interdit devant une scène qu’il ne parvenait pas à comprendre, il nous faut nous saisir des questions pour interroger notre propre cadre, notre propre organisation; et que les réponses s’élaborent progressivement, créativement, rappelait Edgar Morin.
A titre de répertoire de questions, nous vous proposons les 120 questions du « Jeu du changement« , en forme de carte à tirer aléatoirement..
La musique du jour
[1] Héros du romain de Chrétien de Troyes, Nous ne savons presque rien de ce grand écrivain du XIIème siècle. Au service de Marie de Champagne (fille de Louis VII) et de Philippe d’Alsace (comte de Flandre, il est mort en croisade), son activité littéraire est située entre 1164 et 1190. Homme d’église puisqu’il sait écrire, Chrétien de Troyes est un écrivain de cour, puisqu’il a lié son activité aux besoins intellectuels et esthétiques d’une élite aristocratiques qui lui commandait des romans. Cinq œuvres font de Chrétien de Troyes le plus grand romancier du Moyen Age et le véritable fondateur du genre romanesque. Ces œuvres sont: Erec et Enide , Cligès , Lancelot ou Le chevalier à la charrette , Yvain ou Le chevalier au lion, Perceval ou Le conte du Graal . Ce dernier roman reste inachevé, ce qui rend difficile son interprétation. écrit vers 1180 en langue romane. De nombreuses continuations furent entreprises par ses successeurs. L’intention de Chrétien de Troyes est d’illustrer un idéal chevaleresque fondé en grande partie sur des valeurs religieuses. Avec ce roman, la quête chevaleresque change d’ordre, l’épanouissement social et individuel de Perceval qui est naïf n’est qu’une étape, la perfection mondaine doit être dépassée par le perfectionnement spirituel. La quête du Graal doit le conduire à recouvrer la grâce. Ce récit, en racontant l’initiation et les aventures chevaleresques de Perceval, est à l’origine du mythe du Graal.
Une page synthétique est disponible sur http://www.educanet.ch/home/bac3m3/autre/Perceval.htm ; une étude plus exhaustive sur http://yz2dkenn.club.fr/chretien_de_troyes__perceval_ou_.htm
texte écrit avec André de Peretti, dans « Contes et fables pour l’enseignant moderne », éd. Hachette, 2006,
Allégories propices à la démarche enseignante
La métaphore du colibri ou l’élégance en vue d’ajuster sa présence/distance aux élèves
Un animal emblématique pour les enseignants incitant à user de la « ruse » en classe
Le paradoxe d’Abraham ou l’hospitalité nécessaire
L’âge et les illusions ou la confiance nécessaire dans la vie et pour l’enseignement
Les chastes conseils de la chouette alias simples conseils pour bien débuter
Intermède en apnée, La cabine d’ascenseur
Imageries institutionnelles sur l’éducation
La fable des animaux républicains au regard de l’injustice des « instructions » identiques
Apologue de la forêt ou « demandez le programme »
Edifiante histoire de la mésange couturière illustrant les périls de l’excellence en excès
Mythe du commandement rappelant l’habilité et la subtilité de la marine anglaise
Le mythe d’Œdipe et du Sphinx alertant sur les risques d’inerties et d’enfermement dans les institutions
Intermède méridional : Oui, roulons les R ! …
« Gestes » de l’enseignement
Métonymie du maître étalon, ou la mesure scolaire mises en questions
Mirages et corrections au cœur des épreuves, corrections, probations et mirages
L’équilibrisme de la formation organisant la complémentarité entre physique et mental en formation
La petite fille Critique ou Vertus et Vices de la Contestation
Apologue des deux nigauds ou la dénonciation du discours convenu sur l’éducation
Intermède suspensif entre Damoclès et Gribouille
Petit bestiaire de la relation à autrui
Parabole des porcs-épics interrogeant sur la maîtrise sociale des énergies individuelles
La louve et l’enfant ou l’incitation à la confiance qui soigne et qui libère
Le rat de ville, le rat des champs : sur l’effet redoutable des environnements et des influences
Le limaçon et la tortue ou le « délire à deux »
Les chevaux et la chance ou la chance de l’inversion des chances et des malchances
Intermède rogérien, Le dérapage contrôlé
Saga psycho-sociologique du « monde » de l’Education
Mythe et match ou l’Ecole et ses « buts »
Allégorie de sa source refoulée : les risques de ne plus être soi-même pour convenir au regard d’autrui
La métaphore de l’écluse explicitant la relation à autrui
Le sortilège de l’effet Bunuel, ou la petite métaphore de l’auto-enfermement qui nous menace, pas seulement au cinéma
Ecrit , écran, écrou, écru sur des supports et de l’étymologie
Comments