Un jour, les animaux décidèrent de faire quelque chose pour résoudre les problèmes du monde moderne. Ils organisèrent donc des élections, et un ours, un blaireau et un castor furent désignés membres de la Commission d’Enseignement. Un hérisson fut engagé comme professeur. Le programme scolaire consistait à courir, grimper, nager et voler, et, afin de faciliter l’enseignement, l’on décida que toutes ces disciplines seraient obligatoires.
Le canard battait tout le monde à la nage, même son professeur, mais il était très médiocre quand il s’agissait de voler et complètement nul à la course. C’était là en fait un si mauvais élève qu’on décida de lui donner des leçons particulières : il devait donc courir pendant que les autres allaient nager. Cet entraînement meurtrit tellement ses pieds palmés qu’il obtint à peine la moyenne à l’examen de natation.
L’écureuil grimpait mieux que quiconque, avait toujours la meilleure note en escalade, 18 sur 20. Voler, par contre, lui déplaisait profondément car le professeur exigeait qu’il saute du haut de la colline, alors que lui préférait s’élancer de la cime des arbres. Il se surmena tant qu’au bout d’un certain temps, il n’obtint plus que 8 en escalade et 6 à la course.
L’aigle était une forte tête que l’on punissait très souvent. Il éclipsait tous les autres quand il fallait grimper aux arbres, mais ne voulait utiliser que sa propre méthode. On décida donc de le mettre dans une classe d’observation.
Le lapin était tout d’abord le champion de course à pied, mais les heures supplémentaires qu’on lui fit faire à la piscine finirent par lui donner une dépression nerveuse.
A la fin de l’année scolaire, une anguille prodige, médaille d’or de natation, et qui savait aussi grimper, courir et même voler un peu, obtint la meilleure moyenne dans toutes les disciplines. Elle fut donc désignée pour prononcer le discours de fin d’année lors de la distribution des prix.
Creuser des galeries ne figurant pas au programme scolaire, la taupe ne put aller en classe. Elle n’eut donc d’autre choix que d’envoyer ses enfants en apprentissage chez le blaireau. Plus tard, ils s’associèrent avec les sangliers pour fonder une école privée, et celle-ci eut beaucoup de succès.
Mais l’école qui était censée résoudre les problèmes du monde moderne dut fermer ses portes – au grand soulagement de tous les animaux de la forêt.
La fable des animaux qu’on vient de lire ou relire met en scène la métaphore d’un enseignement commun, homogénéisant, républicain ( ?) imposé à des animaux aux modes d’existence et de sens différents, sinon inconciliables. Il met en question le problème de la mise en compatibilité, par « tronc commun » et « socles » ou cultures, des personnes humaines : chacune ayant des traits originaux qui la distinguent des autres et la rend hétérogène à eux.
Jusqu’où et comment peut-on homogénéiser, uniformiser les références et les comportements, la culture commune et l’insertion sociale d’individus ? Ou encore, quelle souplesse préserver dans les procédures qui visent le développement harmonieux des personnalités ? Peut-on en discuter ?
Oui, on peut en discuter, car la parabole est à la fois drôle et très questionnante. En prenant trop fortement appui sur la spécification des espèces animales bien différentes les unes des autres, on serait amené à penser trouver dans les rejetons de l’espèce humaine une hétérogénéité irréductible. N’est-ce pas actuellement le leit-motiv de nombre d’enseignants à propos de leurs élèves, avec en arrière-plan une hypothétique homogénéité perdue. De quoi s’agit-il exactement ? Cela engage des valeurs qui commandent très implicitement le système de l’enseignement.
La question du socle commun est posée comme celle de la liberté (à prendre ?) de l’enseignant,
Historiquement, un certain respect de l’hétérogénéité s’impose à nous, sinon on reviendrait à des considérations d’ordre fasciste. On raisonnerait en effet alors en terme de castes, de séparations, en référence plus ou moins involontaire au système indo-aryen. En celui-ci, la norme exige en effet que des gens doivent être radicalement séparés. Ils sont réputés absolument différents. En revanche, s’ils peuvent être rendus relativement identiques les uns aux autres, ils seront homogénéisés, ségrégativement, dans des castes distinctes.
Mais ensuite, en tant que celles-ci interdisent toute relation et font séparation d’une caste à l’autre, la seule possibilité relationnelle, entre les individus divers, reste la réalité hiérarchique. N’importe quelle personne d’une caste A est réputée en toutes circonstances supérieure en tout et partout à un personne d’une caste B ; on peut ici reconnaître, décrétée et décrétant, la théorie de la colonisation, radicalement et pou toujours.
Mais on voit encore en Inde ce tableau des « différences » séparatives :avec les Intouchables qui sont exclus de tout rapport aux autres castes ; ou avec l’interdiction fréquente du mariage entre individualités de castes différentes.
Toutefois, en ignorant cependant les différences, on entend encore faire émerger, par éducation et enseignement, une pseudo identité, seule admise,élitique, consentie, situant des compétences sur des aptitudes classiques. Mais les réalités sont plus tendues actuellement qu’autrefois où l’Ecole pouvait accueillir 1% d’une classe d’âge à l’échelon supérieur, secondaire ou universitaire La réalité, c’est qu’on est passé à 100 % d’une classe d’âge au second degré en collège et plus de 70 % en lycée.
Nous avons affaire à des groupes d’élèves de plus en plus pluriculturels, multinationaux. Et cependant, on demande à chacun de pouvoir faire preuve de capacités, relationnelles, organisationnelles, informationnelles, modélisées sur un passé sélectif qui exigeait une formation, choisie, élitique, d’où il y a de quoi provoquer des sursauts d’anxiété parentale et sociétale.
La classe hétérogène est dans les disciplines décloisonnées et en interaction une richesse sur laquelle il est possible de s’appuyer, en vue d’aider chacun à trouver le socle moyen et son orientation satisfaisante par les rôles et les spécialisations qu’il est utile de réussir pour les autres et pour soi au-delà des handicaps.
Respect et richesse de l’hétérogénéité
Rappelons que des bègues ont pu réussir oratoirement ! Démosthène[2], Jouvet[3]… Comment trouver avec chaque élève les solutions les plus efficaces pour travailler avec lui et ses camarades le type de difficulté et sa chance de motivation et de satisfaction? Et non lui confier le seul rôle de figurant hallebardier. Il importe professionnellement, professoralement, d’éviter de coincer les gens dans leurs précarités présentes,
Mais que fait-on, notamment en évaluation, pour prendre en compte l’hétérogénéité des élèves, des jeunes, et assurer leur harmonisation, au long comme au terme des démarches d’apprentissages et d’orientation ?[4]
La fable est terrible dans sa logique d’une application méticuleuse du programme et dans la pratique d’une évaluation toute sommative, et manifestement contre-peformante au regard des capacités des animaux-élèves. La forêt-Ecole serait-elle malade de son évaluation ?
Cela nous renvoie aux fonctions de l’évaluation. On ne fait pas d’effort si on n’a pas confiance c’est à dire espérance. Qu’est ce qui sera, en ce que, moi, élève, je fais et parais, apprécié et noté ? Pour m’encourager ? Ou pour m’humilier et me démolir ? Par souci de vérité, mais jusqu’à quelle précision, vérité, supposées ?
Trop habituellement,plus les gens sont en difficulté, plus on veut leur faire à toute force dominer ces difficultés et plus on risque de les décourager par rapport à leurs potentialités et à des réussites non autorisées, non ouvertes aux découvertes.
Tout le monde ne peut pas être dans la même excellence ; on le voit très bien en EPS ; il n’y a pas que des sprinters ou des marathoniens, des nageurs ou des cavaliers en puissance. Sur la gamme des savoirs et des savoir-faire, en tant que professeurs, cherchons, imaginons des situations plurielles dans lesquelles les élèves, dans leur diversité, dans leur hétérogénéité naturelle, auront des possibilités d’efforts à faire pour réussir quelque chose, quand bien même ils ont des difficultés dans toute sorte de matières d’efforts. On peut construire des performances et des réussites différenciées, variées.
A quoi s’opposerait sans doute l’axiome : « On baisse le niveau ». Mais le niveau est une notion obscure et illustre bien la mentalité de défense des enseignants en France. En réalité, elle est liée à la notion de « moyenne » très française, sans tenir compte des souplesses et de l’accueil des différences. En EPS, le barème peut rappeler que la réalité du « corps » existe au bac et n’est pas réduite à un modèle unique, c’est bien.
Dans son esprit, on peut penser que le professeur est un entraîneur qui doit amener chaque jeune à des performances distinctes, calibrées aux possibilités de chacun, en précisant les conditions d’efforts à accomplir sans absolutiser la relation à une moyenne.
C’est bien le postulat de la « commission scolaire des animaux» ; disciplines obligatoires, moyenne intangible. Par transposition, c’est le spectacle constaté actuellement au moment des conseils de classe informatisés où s’affichent les courbes de répartition des notes par discipline. On est, de l’avis général, un bon professeur, quand la répartition est dite « harmonieuse » selon le principe de la courbe en cloche de Gauss.
La notion de moyenne est tellement subjective qu’en fait, elle n’existe pas. L’utilisation à son propos de la loi statistique de Gauss par rapport à la réalité de l’enseignement d’un professeur est une profonde erreur. Car elle suppose des grands nombres. C’est une vraie plaisanterie de l’appliquer en classe ou même en établissement scolaire. Elle a été conçue pour des phénomènes matériels, notablement homogènes, loin des diversités biologiques et humaines.
Tout ramener à la courbe de Gauss ? Le « tsunami scolaire », d’après la vague d’Hokusai (librement détournée). Où est la frêle embarcation (la classe ?) ?
Par rapport à celles-ci, on peut noter le Q-sort[5] de Stevenson conçu à la fin des années 20, un tri (sort) de questions ou de cotations (Q) : il a été pensé par lui contre l’utilisation de la loi de Gauss dans les sciences humaines. Il a été repris notamment par Carl Rogers, pour essayer de jalonner les explorations de situations psychiques et les évolutions de comportements ou d’attitudes : afin de voir si, pour une personne, dans le temps, il y avait des changements ou pas. C’est donc une échelle qui se distingue du rapport aux grands nombres par le fait qu’elle s’applique à quelques cas, mais en multipliant le nombre des variables de situation et de repérage pour retrouver ces grands nombres : à propos de l’appréciation d’un rôle professionnel d’une conception de l’autorité ou de la responsabilité. Le Q-sort permet donc une auto-perception immédiate et mise en relief par une comparaison, sur le tri de multiples réponses, avec d’autres individus.
Pour évaluer plus objectivement la position d’un élève, doit-on redemander à un élève de faire un travail qui soit de même niveau « moyen » qui soit analogue dans toutes les disciplines ? Faire un « chef d’œuvre » se fait dans une spécialité et non dans toutes les spécialités. Et cependant, il faut aider chaque élève à aller dans plusieurs directions complémentaires d’approfondissement afin de l’aider à préciser ses orientations successives.
Mais la réflexion sur le socle est importante car elle exige la participation de toutes les disciplines, notamment scientifiques ; comment rendre les élèves portés à la recherche et à la créativité ? La seule loi libérale d’organisation de l’autonomie dans l’établissement va accorder plus de chances à la connaissance socioculturelle au détriment du scientifique, on l’a vu dans le cas des « itinéraires de découverte » dans nombre de collèges. Le propos de Michel Serres[6] insiste bien sur l’équilibre et l’interaction nécessaires entre les deux pans de cette culture fondamentale.
On ne peut confondre l’enseignement avec la répétition rigide de savoirs et de pratiques strictement stéréotypés, c’est dangereux : dans le dessein de développer la mémoire et ensuite l’appliquer à travailler sur des choses créatives et performantes ; Les choix ne doivent pas être trop monolithiques. Si au bac, on demande aux élèves à l’écrit d’avoir à faire des « compositions » sur six disciplines, ce n’est pas la peine de demander la même chose dans les autres disciplines.
Pourquoi toujours généraliser, si on peut le faire bien sur deux choses. Quand je suis capable de faire une copie de devoir approfondie, je n’ai pas besoin d’en faire dix fois la démonstration. Pour le reste, formation du socle vérifié par des questionnaires choix multiples, informatisables et QCM obligatoires pour tous.
Le contrôle continu a des risques : des élèves, des histoires, des conjonctures qui concernant tous les niveaux, c’est vrai aussi pour l’examen final. Mais l’équilibre, c’est se concentrer sur quelques épreuves choisies, et proposer des occasions de réussir. Le QCM le permet[7]. Sur l’exemple du Code de la Route ; il est nécessaire à savoir et à temps pour réussir le permis de conduire. Mais pas pour courir le Grand Prix international.
L’évaluation par les chiffres et les notes, en France s’est affectivée et réifiée en termes absolus. De même, la compréhension de s programmes est totalitaire et absolutiste ; alors que personne ne doit ni ne peut maîtriser 100% des contenus de programme. N’importe quelle ligne d’un programme est susceptible de donner lieu à 10 minutes ou 10 heures d’enseignement ; c’est bien le choix et la responsabilité de l’enseignant par rapport à ses élèves et par rapport à lui-même.
Tout doit passer à la même moulinette ? Ne doit on pas se centrer sur quelques zoom ou cibles. ? Il faut structurer comme on le demande à un élève sur une copie de bac : structurons l’enseignement. Et diversifions à cet effet les modalités d’évaluation.
Car il y a des alternatives à l’évaluation scolaire traditionnelle. Jugez-en, voulez-vous, par l’inspection du Référentiel des possibles comme alternative à la note sur 20[8]
Il s'agit de donner une vue panoramique des multiples possibilités de construction d'une note sur 20 ou sur 100, en vue de qualifier ou estimer un travail, un projet, une copie, une réponse, une prestation orale ou écrite, un dossier etc... (en compétition ou hors compétition). On peut s’y prendre par:
Préférez-vous une estimation globale, au jugé, pour l'ensemble de la prestation ?
Ou vous contentez-vous d’appréciation concentrée sur un élément partiel, volontairement pris en considération ?
Vous astreignez-vous à une soustraction à 20 (ou à 100) du nombre d'erreurs relevées (sans référence à un barème) ?
Ou alors à une soustraction à 20 (ou à 100) du nombre d'erreurs relevées par référence à un barème communiqué ?
Ou bien plutôt, choisissez-vous une addition à 0 (ou 10 ou 50) de points positifs relevés par référence à un barème communiqué ?
A moins que ce ne soit un mixte d'addition et de soustraction de points appliqués à 10 (ou à 50 ou à 100) sans référence
Proposez-vous à vos élèves une sommation de notes partielles attribuées à des parties successives d'un travail (sans référence à un barème, ni à un cadre)
Et peut-être une sommation de notes partielles établies pour les différentes parties d'une même copie ou prestation ou dossier, selon des critères explicités (par ex.: compréhension du sujet, logique, pertinence du plan, clarté du style, argumentation, qualité des références, originalité, travail, exactitude des opérations ou calculs, raisonnement, valeur des graphiques ou schémas, intérêt des exemples présentés, écriture, orthographe, présentation, concision, précision, complétude, habilité, communicabilité, correction formelle etc...)
Avez-vous recours à des moyennes de notation diverses appliquées à différents éléments, parties, exposés, exercices ou épreuves aux coefficients spécifiques ?
OU bien, optez-vous pour une fixation à partir d'une idée intuitive de la moyenne accessible pour une production ou prestation donnée ?
Pratiquez-vous peut-être déjà une notation établie et rectifiée pour une masse de produits ou production, par application de la courbe en J (peu d'échecs) ?
Ou plus classiquement, une notation effectuée en répartitions contraintes par application (discutable) de la courbe de Gauss ?
A moins d’adopter une application sélective de la courbe en L (peu de réussites)
Avez-vous tenté une notation traduisant le pourcentage de réponses exactes à un QCM ou autre forme de questionnaires brefs ?
Ou une péréquation de notes comparées, relatives à un ou plusieurs individus ?
Vous est-il arrivé de faire une rectification d'une note d'auto-évaluation (proposée par un individu) d'une note donnée en co-évaluation (proposée par un groupe) ?
Ou plus simplement la notation de la qualité d'une auto-correction (effectuée sur sa propre prestation par une personne) ?
Avez-vous déjà fait une négociation entre divers correcteurs à partir de leurs notations respectives, dans un jury ?
Et peut-être même une péréquation des notations données par des experts sans relation entre eux (méthode Delphi) ?
Utilisez-vous une oscillation autour d'une moyenne définie, suivant la qualité des satisfactions apportées à des exigences spécifiées ?
Privilégiez-vous une notation valorisant la conscience explicitée du degré d'exactitude des réponses données par une personne ?
Ou alors l’attribution de la note à partir d'un échelon d'exactitude atteint sur une suite d'exercices, le long d'une échelle de difficultés progressives
Enfin, avez-vous déjà utilisé une notation en fonction d'un barème élaboré en négociation avec les élèves ou apprenants à partir d'un tableau de critères ?
En reprenant l’introduction de la fable des animaux, on voit assigner à l’Ecole la mission de « résoudre les problèmes du monde ». La difficulté n’est-elle pas précisément dans cette surcharge des objectifs de l’Ecole (publique), source elle-même de problèmes, de dysfonctionnement et partant de mécontentement profond des usagers ?
L’Ecole doit elle résoudre les problèmes du monde, comme aujourd’hui ceux que posent l’antisémitisme, la violence, le terrorisme. Elle doit y prendre sa part, persévérante, soutenue par toute la société, car on ne peut plus rien séparer dans notre civilisation moderne. Plus les choses ont un caractère défini, organique, plus les éléments distincts entrent en interaction les uns les autres comme la biologie nous le montre.
Ainsi, l’école a forcément un rôle multiple et ne peut pas éviter de l’avoir : elle sert de lieu où les enfants sont placés un certain temps pour libérer l’action productive des parents ; c’est très net au niveau des premières années ; en retardant l’enseignement en lycée, on a aussi permis de mettre dans l’armée des jeunes qui ne venaient pas encombrer le marché du travail. Mais c’est aussi un lieu de mise en contact entre les générations, aux plans d’attitudes à avoir, de connaissances à intégrer, de savoir faire à pratiquer.
Bien plus, on ne peut pas séparer l’Ecole de la découverte du monde, social, judiciaire, politique, légal, sous tous aspects. Elle a son originalité comme un organe dans un corps sain, le foie ou le poumon, mais il n’empêche que le foie a des fonctions qui atteignent tous les autres. Le thumos[9]grec, c’est l’intelligence. Les choses ne sont plus séparables suivant une logique coupante, mais désormais dans une logique d’interactions, avec des boucles multiples.
L’indépendance des enseignants, comme celle des magistrats doit donc être assuré, mais ils ne doivent pas être séparés du monde. Au contraire, ils doivent requérir du monde extérieur les aides, les appuis dont ils ont besoin pour aider l’école et les élèves à mieux s’ouvrir au monde. Il est naturel que des professionnels puissent venir apporter des connaissances, ouvrir des perspectives dans une école.
J’ai souvent cité l’exemple des élèves de SES[10] qui voulant organiser un voyage au Canada, ont fait appel à Bernard Clavel qui s’est déplacé d’Irlande, ils ont été demander du matériel au CRDP, qui les a aidé à filmer ; ils ont passé vingt jours au Canada, cela a permis à l’un d’entre eux de se faire embaucher au retour de Québec.
Cet exemple veut illustrer que le monde est à la disposition des professeurs et des élèves. Et pour leur dire : oubliez l’irrédentisme ou anachronisme enseignant, mais votre mission veut que vous fassiez les réquisitions de ce que les gens qui vous environnent peuvent apporter en connaissances, d’humanisme, de pittoresques aussi pour les élèves. Le vécu, l’expérience et l’illustration sont porteurs de sens et de savoirs riches et uniques pour les jeunes.
Je me souviens d’un moment où j’ai été invité dans une classe de CE2. Chaque élève m’a posé une question par écrit, j’ai rédigé une réponse d’une page pour chaque élève, un journal a été écrit et créé par la classe ; cela peut donner une image de la guerre et de la captivité qui permet aux jeunes de saisir les réalités complexes et difficiles de la guerre par exemple.
Il faut en finir avec l’encyclopédisme aujourd’hui. Avant, il y a cinquante ans, il y avait en collège huit disciplines, alors qu’en massification on est passé à douze ou plus de disciplines, et en même temps, on a rajouté au programme d’histoire portant sur l’Egypte la Grèce et Rome pour la classe de 6ème , l’histoire de la Chine, des Hébreux, de l’Inde et l’histoire contemporaine. On a donné une amplification à l’encyclopédisme au moment même où accèdent à l’Ecole des jeunes de familles modestes ou d’horizons différents.
Le vrai problème, c’est de déterminer le socle de base pour tous. Si je sais certaines choses simples, je n’ai pas besoin d’une connaissance absolue sur quatorze disciplines. Il faut distinguer des niveaux de connaissances « avancées », et des niveaux de socle en savoirs « ordinaires » ; mais il est indispensable de permettre des spécialisations dès le collège. Des groupes de poésie ou d’éducation musicale, cela marche très bien. Aux États-Unis, on peut changer tous les trois mois de spécialisation.
Cela dépend des validations finales ; des unités de connaissances avancées sont requises, et sur les savoirs ordinaires, tous doivent avoir le niveau minimum requis.
Le cas du canard est intéressant : il peut découvrir certains aspects, mais est il obligé d’avaler le programme de maths sup pour connaître les mathématiques.
Actuellement, c’est une destruction de l’esprit encyclopédique des Lumières qui respectait tout travail dont le manuel, qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Ce que la fable ne dit pas ici, ce sont deux caractérisations nouvelles de notre monde contemporain : l’accès au savoir est plus diversifié qu’auparavant, et le lien social se fait plus distendu. L’Ecole est au centre de ce cataclysme de civilisation.
L’Ecole a perdu le monopole de la dispension du savoir, mais c’est encore un lieu de régulation et de la vie en groupe. Être ensemble pour apprendre et apprendre ensemble, c’est une fonction républicaine et culturelle par excellence, et depuis longtemps, à Rome, les jeunes apprenaient ensemble. Ce n’est pas une perte, mais c’est une permanence ; l’Humanité s’est développée dans la mesure où on a complété la transmission directe des connaissances des parents à l’enfant, et cela s’est transformé en quelque chose où on apprend d’autrui des connaissances qui viennent d’ailleurs.
L’Ecole est une mise en ordre et une mise en incitation des connaissances à acquérir pour vivre dans une société et une civilisation. Son caractère républicain d’obligation n’a de sens que si elle est intelligemment menée, en se liant à l’autorité du maître qui « accroît » les capacités de voir et de faire, la sensibilité, la réalité, la compréhension. Il faut rendre l’enseignement agréable ; rendre les connaissances attractives. Certes des aspects pratiques sont à développer, du déchiffrement des documents, mais il y a aussi les autres langages des réalités poétiques, mythiques, de la richesse qu’attend l’imaginaire.
Encore une fois, c’est une idée égalitariste de penser qu’il n’y a qu’une seule langue. Il existe des langages, multiples et variés, adaptés aux différents contextes ; jamais en rejet des uns et des autres. Et en adaptation aux profils d’apprentissages des uns et des autres.
Notre tendance est absolutiste. Par suite, l‘égalité est transformée en identité. Or, être égal ne veut pas dire être identique. Ce sont alors des séparations qui sont privilégiées et non des relations. L’égalité suppose des relations et des différences Et on peut à juste titre parler d égalité de l’attention portée aux personnes, des chances proposés, du respect dû. Chacun doit sentir qu’il est utile aux autres, c’est dans l’esprit républicain. On en reparlera !
La musique du jour
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2] Démosthène (384-322), né à Athènes, perdit son père, un riche armurier, dès l'âge de sept ans et sa fortune fut entièrement dilapidée par ses tuteurs. À dix-huit ans, il leur demande des comptes et entreprend une série de procès qui, trois ans plus tard, lui font recouvrer une - faible - partie de son patrimoine. Dans ces procès, il veut plaider lui-même sa cause. Pour cela, il se met à l'école d'Isée, très versé dans le droit civil.
Sa santé délicate (une voix faible et qui manquait de netteté) lui interdisait, à l'origine, d'envisager une carrière d'orateur politique. Il s'entraîne alors assidûment et systématiquement à corriger ses défauts d'élocution (Plutarque, Vie de Démosthène, Cicéron, de Finibus); en même temps il étudie les orateurs, les poètes et se passionne pour l'œuvre historique de Thucydide.
[3] A son arrivée à Paris, en 1904, Il se présente trois fois aux examens du Conservatoire d'Art dramatique dans des scènes de l'Ecole des femmes de Molière, et est recalé chaque fois. On lui reproche sa mauvaise élocution et son apparence physique. Jouvet est meurtri par ses échecs, néanmoins il obtient d'être accepté à titre d'auditeur dans la classe de Leloir, en 1908. C'est là qu'il apprendra à mieux contrôler sa diction. (d’ (d’après la biographie en ligne http://www.geocities.com/louis_jouvet/Jouvet_bio.html
[4] Pour aller plus loin sur Approcher le style d’apprentissage de nos élèves, voir le Manuel de survie chapitre « observer les élèves », ou Manuel de survie à l’usage de l’enseignant, même débutant, éd. L’Etudiant,, 7ème éd, 2023, chapitre 22.
[5] Sur la technique du Q-sort et quelques exemples, voir le site DIVERSIFIER :, tapez Q-sort.
[6] Michel Serres, Le Tiers instruit, Ed. François Bourin, 1991. "Tout apprentissage consiste en un métissage. Etrange et original, déjà mélangé des gènes de son père et de sa mère, en tiers entre eux, tout enfant n'évolue que par nouveaux croisements, toute pédagogie reprend l'engendrement et la naissance d'un enfant : né gaucher, il apprend à se servir de la main droite, demeure gaucher, renaît droitier, au confluent des deux sens; né gascon, il le reste et devient français, en fait métissé ; français, il se fait espagnol, italien, anglais ou allemand, s'il épouse et apprend leur culture et leur langue, en gardant les siennes propres, le voici quarteron, âme et corps mêlés. Son esprit ressemble au manteau d'Arlequin. Cela vaut pour instruire autant que pour élever les corps. Le métis, ici, s'appelle Tiers-Instruit. Scientifique, plutôt, par nature, il entre dans la culture parce que la science épouse aujourd'hui les questions, par elle seule imprévisibles, de la douleur et du mal. Il suffit d'apprendre deux choses : la raison exacte et les maux injustes ; la liberté d'invention, donc de pensée, s'ensuit. Cela vaut enfin pour la conduite et la sagesse, pour l'éducation. Elle consiste et demande à épouser l'altérité la plus étrangère, à renaître donc métis.
7] A titre d’exemple en ligne, les exercices de tests en éco-gestion et en informatique (pour tous), de l’académie de Clermont, http://www3.ac-clermont.fr/pedago/ecogest/EVALUATION_INFORMATIQUE/informatique.htm
[8]extrait de André de Peretti, Encyclopédie de l'évaluation et de la formation, Paris, ESF, p.33 sq., 1998, disponible sur le site DIVERSIFIER
[9] On trouve une étude étonnante dans Platon,, Le Timée Les Fleurs Bleues sont rattachées à ce qui est l'oeuvre la moins dialoguée et la plus dogmatique de Platon dans la mesure où le pythagoricien Timée se prend pour un conférencier dont le titre de l'exposé serait "Le monde en général et en particulier" : La théorie des parties de l'âme (présentées dans le Timée, 70a - 70e, ibid. p. 495-496 selon l'ordre thumos, puis "le coeur, le courage", epithumia,"âme appétitive" - le nous "la pensée, la raison", est laissée de côté comme non caractéristique de l'âme mortelle - éclaire les Fleurs bleues sous un jour dont le politiquement correct ferait ses choux gras, puisque le thumos est présenté comme l'appartement des hommes et l'épithumia comme celui des femmes, le tout étant séparé par la cloison du diaphragme.
[10] Section d’éducation spécialisée, actuellement SEGPA.
un texte écrit avec André de Peretti, dans « Contes et fables pour l’enseignant moderne », éd. Hachette, 2006,
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