Mais à quelle considération des différences d’âge peut s’autoriser un enseignant ? Et quels traits peut-il porter sur son visage face à de jeunes générations ? : l’austérité, une commissure ironique des lèvres, des rides de crispation, des rides de lassitude, des creux d’indifférence, un menton mussolinien, des cernes d’ennui ? Ou un front olympien….
Sans doute, est-il possible à tout collègue d’écouter avec commisération un tel questionnement. Peu lui chaut ! Il se pense et se sent vacciné contre toute remise en cause de sa personne et de son rôle : les savoirs qu’il « dispense » parlent pour lui et à sa place ; ils modèlent dignement sa physionomie devant ses auditoires juvéniles. Il peut se situer hors d’âge. Il est souvent enclin à juger les jeunes terre à terre ou, pour quelques-uns, exaltés.
Mais ne sont-ils, ces adolescents ou jeunes adultes, plutôt déboussolés, en sorte qu’il importe de les recadrer. Leurs rêves ne sont-ils scellés d’une cyclothymie oscillante Car ils se font des idées saugrenues sur le monde, sur ses beautés, sur ses limites. Certains pensent connaître mieux que nous, tant nous leur paraissons blasés, le devenir qui leur apparaît, la vie qui les attend. Ils bouillent d’impatience et de désir chimérique, ne nous semble-t-il pas ? Comment nous situerons-nous face à leurs frasques éventuelles ?
Mettons en scène ces plates ruminations. Paul Claudel nous en offre un relief qu’il peut être adéquat de ré-imaginer par l’admonestation ambiguë, mais suprême d’un Roi d’Espagne, dans la première journée d’ « un Soulier de Satin[1] ».
La jeunesse est-elle la « fin des illusions » ?
Ce Roi s’adresse, en effet, en scène VI, à son méfiant Chancelier :
« Seigneur chancelier, vous qui avez le poil blanc alors que mien ne fait encore que grisonner.
Ne dit-on pas que la jeunesse est le temps des illusions.
Alors que la vieillesse peu à peu
Entre dans la réalité des choses telles qu’elles sont ?
Une réalité fort triste, un petit monde décoloré qui va se rétrécissant. »
Incertain de l’intention de son Roi, le Chancelier va répondre à la question en se référant à la banale saga des « idées reçues » :
« C’est ce que les anciens moi-même m’ont toujours induit à répéter. »
Le Roi insiste alors :
« Ils disent que le monde est triste pour qui voit clair ? »
A quoi le Chancelier est poussé à dire, pour se défendre déjà :
« Je ne puis le nier contre tous. »
Le Roi le presse à nouveau :
« C’est la vieillesse qui a l’œil clair ? »
Le Chancelier s’en tire par une réponse évasive :
« C’est elle qui a l’œil exercé. »
A quoi le Roi enchaîne :
« Exercé à ne plus voir que ce qui lui est utile. »
Le Chancelier ose poursuivre :
« A elle et à son petit royaume. »
A ce « petit royaume », le Roi va retentir :
« Le mien est grand ! Oui, et si grand qu’il soit, mon cœur qui le réunit
Dénie à toute frontière le droit de l’arrêter. »….
Après quelques propos sur l’ampleur inouï de ce Royaume aux dimensions de l’Empire de Charles-Quint, le Roi s’exclame alors, clôturant ses interrogations et réfutant toute médiocre tristesse :
« Et je dis en effet que la jeunesse est le temps des illusions, mais c’est parce qu’elle imaginait les choses infiniment moins belles et nombreuses et désirables qu’elles ne sont et de cette déception, nous sommes guéris avec l’âge. »
Oui, « La vie est belle »
Ainsi sommes nous invités à ne pas attrister les jeunes et encore moins à critiquer leurs élans. Clotilde de Vaux[2], l’égérie d’Auguste Comte nous avait aussi à sa façon rappelé : « Il est indigne des grandes cœurs de répandre le trouble qu’ils ressentent. » Il est plus encore comme un devoir, pour tout éducateur, même par rapport aux situations les plus critiques, d’énoncer que « la vie est belle[3] ».
Un grand cinéaste italien en a tiré un film pathétique. Privilège de l’âge à partager avec les jeunes… ! Avec les débutants ?
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Le limaçon et la tortue ou le « délire à deux »
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Allégorie de sa source refoulée : les risques de ne plus être soi-même pour convenir au regard d’autrui
La métaphore de l’écluse explicitant la relation à autrui
Ecrit , écran, écrou, écru sur des supports et de l’étymologie
[1] En 1928 et 1929, Paul CLAUDEL publie chez Gallimard Le Soulier de satin, en quatre volumes successifs correspondant aux quatre " journées " de cette " action espagnole " dont les premiers mots dits par l'Annoncier précisent : " La scène de ce drame est le monde et plus spécialement l'Espagne à la fin du XVIe, à moins que ce ne soit le commencement du XVIIe siècle. "
[2] Auguste Comte, philosophe, mathématicien et inventeur du positivisme, rencontre fortuitement Clotilde de Vaux en 1844. Il tombe éperdument amoureux. La jeune femme est flattée. Ils engagent une correspondance pendant deux ans. Auguste la supplie de céder à ses avances. Clotilde refuse. Puis se ravise. Puis refuse. Puis se ravise. Puis refuse. Frustré au début, Auguste Comte se fait à l’idée. Leur passion ne sera jamais charnelle. Elle meurt en 1846 et Auguste Comte lui vouera un véritable culte pour lequel il abandonnera tout.
[3] Un film de Roberto Benigni , grand prix du festival de Cannes en 1998,; voir le site officiel http://www.bacfilms.com/site/vita/
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