"Fermer la porte de ma classe et faire comme je peux." Cette phrase, je l'ai souvent entendue dans la salle des profs. Peut-être l'avez-vous déjà prononcée vous-même ? C'est vrai, notre métier peut sembler solitaire. Pourtant, comme le dit si bien François Muller, formateur et auteur français : "Aucun enseignant ne peut progresser seul dans son coin." Et si on regardait ensemble comment s'ouvrir aux autres peut nous aider à devenir de meilleurs enseignants ?
Pourquoi avons-nous besoin des autres pour progresser ?
Seul dans sa classe, des questions plein la tête
Sophie enseigne le français au collège Victor Hugo à Nantes. L'an dernier, elle s'est retrouvée face à une classe particulièrement difficile. "Je ne savais plus quoi faire", raconte-t-elle. "J'essayais plein de choses, mais rien ne marchait vraiment. Le pire, c'est que je n'osais pas en parler, comme si admettre mes difficultés faisait de moi une mauvaise prof." Cette situation, on la connaît tous. Ce sentiment d'isolement est l'un des premiers freins à notre progression.
Ensemble, on voit mieux et plus loin
À l'école élémentaire Jean Jaurès de Toulouse, les choses ont changé quand l'équipe a décidé de s'organiser autrement. "On a commencé tout simplement", explique Marc, le directeur. "Une fois par semaine, pendant la pause déjeuner, on se retrouve à quelques-uns pour parler d'un souci concret. La dernière fois, c'était comment gérer les élèves qui finissent toujours avant les autres. En une heure, on avait plein d'idées nouvelles à tester."
Des petits pas qui changent tout
Au lycée professionnel de Marseille-Nord, Karim et ses collègues ont mis en place un système tout simple : ils s'observent mutuellement en classe, sur la base du volontariat. "Au début, ça fait bizarre d'avoir un collègue au fond de la classe", avoue-t-il. "Mais quand j'ai vu comment ma collègue gérait les transitions entre les activités, ça m'a donné plein d'idées. Et quand elle m'a dit que ma façon d'expliquer les consignes l'avait inspirée, j'ai réalisé qu'on avait tous quelque chose à apporter aux autres."
Comment faire concrètement pour travailler avec les autres ?
Des solutions simples qui marchent
À l'école primaire des Lilas en banlieue parisienne, les enseignants ont trouvé une formule qui leur convient. "Tous les jeudis, de 16h30 à 17h15, on se retrouve entre volontaires", explique Marie-Claire, qui enseigne en CE2. "On appelle ça notre 'café pédagogique'. Chacun peut parler d'un souci ou partager une réussite. La semaine dernière, j'ai présenté un jeu que j'ai créé pour les tables de multiplication. Trois collègues l'ont adapté pour leurs classes."
Coopérer en classe de 6ème : pratiques d’élèves et d’enseignants, Collège Joseph Sébastien Pons[1], Perpignan, académie de Montpellier- L’introduction d’éléments de la pédagogie coopérative dans une puis plusieurs classes a amené une forte amélioration de la mise au travail et du climat scolaire. Ces résultats ont favorisé la mise en place d’une pédagogie coopérative sur toutes les classes du niveau 6ème (accueil, aide et entraide, responsabilités, conseil des élèves hebdomadaire, travail réflexif autour de l’identité, de la gestion des émotions et de la communication...).
Pour accompagner cette mutation, les pratiques enseignantes se sont fortement outillées autour d’apports de la pédagogie Freinet, de la pédagogie coopérative (Sylvain Connac) ou ceux de Bucheton sur la maîtrise de la langue. Les postures professionnelles des enseignants ont évolué dans l’accompagnement des élèves comme dans des actes de vie scolaire en particulier en termes de prévention de la violence (médiations, sanctions) grâce au pilotage « accompagnateur » du chef d’établissement.
S'entraider au quotidien
Au collège Georges Sand de Lille, une initiative toute simple a changé la donne : la création d'un groupe WhatsApp pédagogique. "On y partage nos difficultés, nos trouvailles, nos questions", raconte Thomas, prof d'histoire-géographie. "L'autre jour, j'ai posté un message sur mes problèmes avec la classe de 4èmeB. En quelques minutes, j'avais trois propositions de solutions concrètes. Ça fait du bien de ne pas se sentir seul."
Dépasser les murs de l'établissement
À Rennes, un groupe d'enseignants de différents collèges se retrouve un mercredi par mois. "On s'est rencontrés en formation et on a voulu continuer à échanger", explique Nadia, prof de maths. "On se donne rendez-vous dans un café ou une médiathèque. Chacun amène une activité qui marche bien dans sa classe. On discute, on adapte, on améliore. C'est devenu un moment précieux."
Les changements concrets dans nos classes
Des bénéfices pour tous
À Lyon, une équipe de professeurs de sciences a mis en place des projets communs entre leurs classes. "Avant, chacun faisait ses expériences dans son coin", raconte Pierre, prof de physique-chimie. "Maintenant, on fait des défis scientifiques entre classes. Les élèves adorent, et nous, on partage nos préparations, nos idées. On gagne du temps et c'est plus motivant."
Surmonter les obstacles pratiques
"Le temps, c'est toujours le problème", admet Samira, professeure des écoles à Bordeaux. "Alors on a commencé petit. Une fois par période, on reste une heure après la classe. Chacun présente une activité qui marche bien. On filme avec nos téléphones, on partage les documents. Ce n'est pas grand-chose, mais ça nous fait avancer."
Des élèves qui progressent mieux
Au collège Jules Ferry de Nice, les résultats parlent d'eux-mêmes. "Depuis qu'on travaille vraiment en équipe", note la principale, "les élèves sont plus motivés. Ils voient qu'on est cohérents entre nous, qu'on utilise les mêmes méthodes. Les progrès sont là." Ces observations rejoignent les recherches d'Helen Timperley ;"quand les profs travaillent ensemble, les élèves apprennent mieux."
Le développement professionnel, ce n'est pas une histoire de grands discours ou de formations compliquées[2]. C'est avant tout une affaire de petits pas, de moments partagés, d'idées échangées. François Muller en parle: "L'enseignant qui partage ses pratiques est un enseignant qui grandit." Chacun peut commencer à sa façon, à son rythme. L'important, c'est de faire le premier pas vers les autres.
Ce qui compte, ce sont ces moments où l'on se dit : "Tiens, ça, je n'y avais pas pensé", ou "Ah, je vais essayer ça dans ma classe demain." Ces petites victoires du quotidien qui, mises bout à bout, font de nous de meilleurs enseignants. Et tout ça, on ne peut pas le faire seul. Heureusement, on n'a pas à le faire seul.
[2] Sources et Références : HATTIE, John (2009). Visible Learning: A synthesis of over 800 meta-analyses relating to achievement. Routledge. - TIMPERLEY, Helen (2011). Realizing the Power of Professional Learning. Open University Press. – SAHLBERG, Pasi (2021). Finnish Lessons 3.0: What Can the World Learn from Educational Change in Finland? - HARGREAVES, Andy & O'CONNOR, Michael T. (2018). Collaborative Professionalism: When Teaching Together Means Learning for All. - MULLER, François (2017). Des enseignants qui apprennent, ce sont des élèves qui réussissent. ESF Sciences Humaines. - Études de cas et rapports nationaux : OCDE (2023). TALIS 2022 Results: Teachers and School Leaders as Lifelong Learners. - CNESCO (2021). Le métier d'enseignant en France. - Ministère de l'Éducation Nationale (2022). Guide du travail collectif des enseignants. - Études de terrain: Académie de Toulouse (2022). Rapport sur l'expérimentation des "rendez-vous pédagogiques". - Institut Français de l'Éducation (2023). Les collectifs enseignants : leviers de transformation des pratiques.
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