L’innovation est comme quelques autres mots magiques, «attracteur étrange», qui jouissent d’une positivité de prime abord, qui parlent à tous, sans qu’on puisse en stabiliser une définition; et finalement peut aboutir à des effets en contradiction avec l’intention première. En astronomie, on cerne bien le concept de «trou noir», pourquoi pas l’innovation en éducation et en formation?
En 2000, le Salon de l’éducation à Paris y était tout entier consacré; le ministre avait créé quelques mois plus tôt un Conseil national de l’innovation pour la réussite scolaire, on allait voir ce qu’on allait voir; l’innovation était au centre du système, il fallait même piloter par l’innovation. 2003: il faut mettre le savoir au centre du système, on lance un grand débat national pour une nouvelle loi d’orientation. Les académies et chaque établissement doivent rendre des moyens; on soumet tout le système à l’aune de l’efficacité. Reprise du cycle en 2013 avec un autre CNIRS (pour réussite scolaire).
Mouvement de bascule, alternance cyclique, révolution copernicienne, ou soubresaut d’une arrière-garde? Il est difficile pour les enseignants de trouver les repères suffisamment pertinents pour comprendre ce qui se passe et dans quoi ils sont pris; à l’interpréter comme un simple effet de mode, on ne peut trouver en retour qu’au mieux scepticisme, au pire une indifférence agacée, quand les «vrais problèmes» sont ailleurs. Il y a bien un problème de «sens» dans les trois acceptions: signification des concepts, direction en orientation, appréhension des réalités contemporaines.
Qu’est-ce qu’on dit quand on dit innovation?
Il y a huit ans à présent, le ministère a vu apparaître un bureau «innovations pédagogiques et valorisation des réussites», dans chaque académie, s’est monté très rapidement une mission «Innovalo»; repérer, compiler, produire de la ressource, informer, drainer le système, faciliter l’initiative, valoriser les actions et les acteurs. Vaste programme, petitesse des moyens. Il s’agit de créer plus une synergie et une coordination qu’une nouvelle filière, dans une administration très «à la française»; autant dire que les résultats suivant les académies sont très contrastés en ampleur et dans le temps. Mais le réseau très nouveau à l’époque a tenu par les services qu’il a pu rendre et rend encore à bien des égards.
Jusqu’à une période encore très récente, nombre de séminaires, de journées, de rencontres et de productions écrites se sont centrés sur l’objet lui-même, objet de débat et de confrontation, moment de rencontres entre vieux militants de l’action pédagogique, institutionnels pur jus et tous les autres. Ce fut une phase longue mais nécessaire.
Les équipes sont parvenues à dépasser les limites conceptuelles d’une bonne idée et à s’engager dans une réflexion plus professionnelle, on dirait même plus «professionnalisante». S’impliquer dans l’innovation, d’après les expériences analysées ces dernières années, c’est plutôt:
S’interroger et s’impliquer dans le domaine de l’efficacité des pratiques enseignantes.
Accepter de se confronter à la pertinence et au conflit des valeurs.
Oser porter un regard intéressé sur les pratiques collatérales et envisager quelques transpositions méthodologiques mêmes minimes.
Rendre à la fois plus ferme son socle métier et plus adaptable sa conduite de classe.
Elargir son cadre de référence et de pratiques à son école, son établissement.
Identifier les pratiques, analyser les actes professionnels, enrichir les parcours professionnels, créer de la compétence, évaluer les dispositifs ne relèvent donc pas d’un phénomène de mode, comme d’aucuns ont pu le croire; l’innovation ainsi conçue relève d’une problématique au contraire très actuelle, celui de la formation des personnels enseignants et des cadres du système.
Peut-on former à l’innovation?
Il est difficile de former à quelque chose qui n’est pas de l’ordre du prescrit, pourquoi le ferait-on? Si former, c’est acquérir une compétence à partir d’un besoin professionnel analysé, alors quelle est la nature de besoin qui fonderait une formation à l’innovation?
La question n’a de sens que si la définition du métier devient plus ferme et claire d’une part, d’autre part que si les analyses des performances scolaires et évaluations disponibles dans l’établissement sont rendues matériellement et intellectuellement accessibles.
J’ai plusieurs fois en situation de formation utilisé le concept de matrice professionnelle sur la base des «trente compétences de l’enseignant moderne», proposées par André de Peretti.
Sur cinq ou six axes qui structurent le métier, des «familles de compétences» dit Perrenoud, viennent s’ancrer trois aires concentriques plus ou moins dilatées:
Le socle, au centre, correspond au prescrit du métier:
la reconnaissance d’une aptitude à enseigner, concours (mais aussi par recrutement complémentaire). La base est donnée par un texte encore mal connu des personnels et pourtant important puisqu’il est un appui à leur évaluation: la circulaire du B.O. du 29 mai 1997 sur les «missions et compétences de l’enseignant du second degré au sortir de formation initiale» (Ce socle est invariant, tout du moins théoriquement. «On fait le même métier»). Cela est devenu trés net depuis le BO du 1er janvier 2007 qui définit les 10 compétences de l’enseignant, de façon générique.
La deuxième aire correspond aux «variables objectives» de la situation d’exercice.
Niveaux d’enseignement, zonage, degré de difficulté reconnue, charges ou rôles assumés dans l’établissement, spécificités des groupes d’élèves. Ainsi, une même compétence peut être amplifiée dans une situation d’enseignement et complètement mise en sommeil dans une autre.
La troisième aire correspond à la «dimension personnelle»,
la manière dont vous investissez le cadre, ce qu’on pourrait appeler «style d’enseignement», mais pas seulement; vous pouvez tout à fait développer des compétences extra-scolaires qui ne sont que très peu mobilisées en situation de classe.
La méthode peut sembler empirique quant à l’appréciation du prescrit et la dimension personnelle, mais elle est efficace en entretien, car elle permet de dépasser le stade de la simple impression et la focalisation sur un seul aspect du métier, peut-être plus visible à l’instant T et moins important que d’autres plus souterrains. La seule unité de mesure pourrait être une intensité en «énergie» (pas, normale, beaucoup).
Ainsi, pour chacun, une carte de navigation professionnelle se dresse progressivement, qui fait apparaître des espaces pleins, des écarts plus ou moins grands entre ce qui est mobilisé objectivement et ce que vous mettez en œuvre personnellement. La carte rend possible une analyse partagée notamment en jaugeant les zones des variables non couvertes par la dimension personnelle (donc des besoins en formation) et en distinguant des zones potentielles d’innovation.
On reprend la définition de l’innovation d’après la banque NOVA de l’INRP: L’innovation est un processus qui a pour intention une action de changement et pour moyen l’introduction d’un élément ou d’un système dans un contexte déjà structuré. Pour Marie, se former à l’innovation prendra donc deux formes: une modalité en formation d’équipe sur les pratiques en EPS, une autre modalité dans l’organisation de groupements différenciés.
Doit-on innover dans la formation ?
En France, la formation d’enseignants est un objet de débat conflictuel et nous renvoie finalement à la difficulté du politique de définir le socle commun pour les élèves. Car dans cette branche d’activité, nous sommes en situation d’isomorphie. Dis-moi ce que l’élève devra savoir (faire), je te dirai ce que l’enseignant doit savoir (enseigner).
D’autre part, nous n’avons pas assez opéré la rupture conceptuelle dans le monde de l’Education nationale en matière de formation professionnelle: on se préoccupe plus de savoirs à enseigner que de savoirs pour enseigner; on considère encore trop facilement qu’un bon formateur est un bon enseignant et cela suffit.
Dans ce sens, il est devenu urgent, voire stratégique, d’innover dans la formation des enseignants, compte tenu du renouvellement considérable des personnels dans les toutes prochaines années.
Alors, qu’est-ce que serait une formation professionnelle de l’enseignant? Un élément de réponse consiste à ne pas squeezer le niveau des pratiques de formation (puisque c’est bien le domaine de l’innovation, les réformes et les structures sont de l’ordre de l’institution): une formation plus efficace consisterait à surveiller les points suivants:Proposer des objectifs et des consignes clairs.
Tenir compte de l’intérêt des élèves.
Proposer une activité à l’image des activités accomplies dans leur métier.
Représenter un défi à relever.
Utiliser des stratégies de résolution de problèmes.
Utiliser des connaissances acquises dans différents domaines.
Donner l’occasion de faire des choix.
Travailler sur une période de temps suffisante.
Conduire à un produit fini.
Alors, l’innovation est-elle une mode, passée de surcroît? Si on se contente d’un affichage politique, peut-être: les valeurs de changement sont idéologiquement plutôt ancrées à gauche, celles de stabilité à droite, mais c’est très réducteur et très français.
Il nous faut compter aussi avec des tendances de plus longue durée, comme l’autonomie des établissements, actée depuis 1985, et jamais bien encore réalisée dans les faits, jusqu’à la contractualisation à Paris qui ne fait que débuter en… 2007, la déconcentration et la régionalisation qui rend plus perceptibles les relations avec les collectivités territoriales, et le changement de gouvernance exprimée par le « droit à l’expérimentation » article 34 de la Loi de 2005.et article L 401-1 du Code de l'Education. L’innovation n’est pas une mode, cela devient un droit reconnu, conseillé et appuyé. Les mois prochains nous permettront d’en évaluer les impacts.
Si on la transcrit en développement de compétences professionnelles, en adaptabilité de l’emploi à des situations toujours plus variées, en accroissement de performances des équipes, il s’agit donc bien d’une tendance lourde à la professionnalisation d’un corps en passe de profondes mutations. Le temps court du politique ne doit pas obérer le temps long des mutations et des micro-changements du système éducatif et des équipes qui accomplissent un travail de qualité au jour le jour. Au politique d’étayer ce travail, aux enseignants et aux cadres d’accompagner le changement… pour les élèves.
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