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Contre vents et marées, l'équipe ?


Les enquêtes et entretiens sur le terrain ont pu identifier des résistances ou des inerties récurrentes. On pourrait les résumer en six points :

❏ « On n’a pas les moyens. »

❏ « On n’a pas le temps de faire le programme. »

❏ « Ils n’ont pas le niveau ; le niveau baisse ; ils ne sont pas comme autrefois. »

❏ « L’inspection ne veut pas. »

❏ « On n’a pas été formé pour ça. »

❏ « On a déjà essayé et ça n’a pas marché. »

 

✐ Consigne : cochez la ou les cases qui correspondent à des paroles que vous avez pu proférer.

 

Les "mondes" de l'enseignant

Loin d’être des assertions triviales, ces arguments témoignent d’un ancrage plus profond, de la part de professionnels attachés à leur métier et à leurs élèves. Dans leurs travaux sur les « économies de la grandeur », les sociologues Luc Boltanski et Laurent Thévenot ont répertorié dans notre société six « mondes », l’appartenance à un monde étant déterminée par le type de justification employé par les personnes. Rapporté au milieu enseignant, on peut y repérer dix mondes (voir le test page suivante).

 

Parvenir à repérer ces « mondes », c’est prendre conscience des valeurs qui sont les siennes, c’est affirmer ses convictions pédagogiques. Les repérer chez ses collègues, c’est aussi pouvoir mieux bénéficier de ce que ceux-ci peuvent lui apporter. Il s’agit donc d’un outil susceptible de permettre aux enseignants qui le souhaitent de mettre leurs pratiques pédagogiques en accord avec leurs convictions.

 

En formation d’enseignants1, la typologie des justifications peut servir de base à un travail sur l’intérêt de la concertation et de l’échange, en quatre séquences :

  1. s’approprier la notion de « monde » et repérer dans chacun d’eux ce qui fait blocage, ce qui enferme ;

  2. repérer son ou ses modes de justification habituels ;

  3. repérer ces mondes, dans des situations scolaires précises dans lesquelles il y a blocage, donc immobilisme ;

  4. dans chacune de ces situations, rechercher ce qui fait obstacle au changement, et étudier comment faire évoluer cette situation de manière constructive.

 

L’utilisation de « jeux de rôles » peut être envisagée pour les trois dernières séquences.

Ces représentations ne pourront évoluer que collectivement – que ce soit au niveau d’une école ou d’un établissement –,en les travaillant dans un débat argumenté et contradictoire… et par la régulation des pratiques ; on trouve là la dimension formative de l’expérimentation.

. D’après d’A. de Peretti, Encyclopédie de l’évaluation en formation et en éducation, Paris, ESF, 1999, rééd. 2010, p. 161.

 Chez moi, c’est plutôt "30 idées pour enterrer un projet."

Complémentairement, nous pourrions proposer un exercice d’entraînement collectif à l’argumentation positive : le décalage par l’adoption d’un autre point de vue, le questionnement d’une conception traitée comme « allant de soi » sont des gestes mentaux propres à la créativité, toute professionnelle.


Voici une série de propositions, « 30 idées vouées à enterrer un projet ».

Pour celles que vous avez déjà entendues (ou prononcées), trouvez deux réponses argumentées adéquates :

  • On a déjà essayé.

  • Ça ne s’est jamais fait.

  • On s’en est bien passé jusque-là.

  • Ce n’est pas prévu dans le budget.

  • Nous n’avons pas le personnel nécessaire.

  • Ce n’est pas notre école qui en bénéficierait.

  • Qui paiera ?

  • Les risques intangibles sont trop grands.

  • Nous ne sommes pas encore prêts pour ça, mais le moment venu…

  • C’est très bien en théorie, mais mon expérience…

  • Il faudrait l’accord de…, et je suis sûr de son refus.

  • C’est une solution à long terme, ce qui nous intéresse, mais ici tout de suite…

  • C’est la solution à court terme, ce que nous voulons, c’est une solu- tion durable.

  • Nous faisons déjà mieux que l’école d’à côté.

  • Ceci est radicalement différent de ce qui se fait dans notre école.

  • Les parents n’accepteraient jamais.

  • C’est trop compliqué, personne ne comprendra.

  • C’est contraire à notre projet d’école.

  • Ça fonctionne aux États-Unis, mais en France…

  • Ça fait longtemps que je voulais le faire, mais…

  • Nous voulons que les enseignants réfléchissent et pas simplement…

  • Ce n’est pas comme cela qu’ils font chez…

  • Si c’est si bien que ça, pourquoi personne n’a-t-il encore essayé ?

  • Il n’y a que vingt-quatre heures dans une journée.

  • Vous n’y arriverez jamais tant qu’Untel sera…

  • Bien sûr, on prouve n’importe quoi avec des chiffres.

  • Ça, c’est le problème de l’inspecteur d’académie.

  • Soyez raisonnable !

  • On n’apprend pas à un vieux singe à faire la grimace.

  • Bonne idée, formons un comité.

 

Fort de ces deux exercices d’échauffement, auprès de centaines  d’équipes, nous pouvons énoncer trois points à à votre intention vigilante :

 

Ce qui est imposé passe beaucoup moins que ce qui est négocié et partagé, une pratique émergeant du terrain est d’autant mieux acceptée.

 

Il faut du temps, beaucoup de temps. On peut évaluer le temps d’évolution vers une pratique collective à deux à trois ans pour une équipe. Ce n’est pas le temps de l’élève calé sur l’année scolaire ni celui du « poli- tique » et des réformes, qui passent sans être évaluées. Ce n’est pas le moindre des problèmes rencontrés. À cet égard, les différences d’ancienneté dans le métier ne jouent pas, c’est bien une compétence collective qui est recherchée ; la relative « jeunesse » dans le métier serait même un atout dans un groupe pour son regard renouvelé sur les routines et sur l’organisation dans son école ou dans son établissement.

 

Les évolutions de pratiques collectives nécessitent à un moment donné un accompagnement par un tiers externe ou « ami critique ». On y reviendra.


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