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Conception globale, développement local, ça peut vraiment aider un établissement


J'avais été sollicité directement il y a quelques années par un chef d'établissement en Alsace pour l'aider et soutenir une équipe dans un grand lycée. A l'occasion, en préparation de l'intervention, nous avions alors produit ce texte. Ca peut aider.


L’école a du goût et les élèves ont du talent, Mulhouse, juin 2019

Qu’est-ce qui fait que « l’école a du goût » ? Quand chacun revisite son expérience d’école, peut-il repérer ce qui l’a vraiment fait apprendre ? A quelles conditions les savoirs sont-ils utiles ? Plus prosaïquement, l’enseignant exerce-t-il un effet sur les apprentissages et sur la réussite de ses élèves? Ces questions roulent dans notre période troublée de débats sur l’école,  et il est très possible de trouver des éléments de réponse auprès des acteurs eux-mêmes, ici et maintenant, au lycée Montaigne à Mulhouse, Alsace, France.

 

L’innovation naît dans les marges :  Dans un lycée professionnel, à Mulhouse, en milieu populaire et zone des HLM, toute une communauté scolaire initie un  réseau d’échanges de savoirs dans les marges du système social et scolaire de la France ; on pourrait même l’identifier comme un front de défrichement, à l’instar du mouvement d’exploitation des ressources au Brésil. Sur-exposée à la pression sociale, et sous-exposée aux attentes scolaires d’un centre-ville, la dérivation de la tension s’est exprimée dans l’élargissement du cadre de l’Ecole.

 

L’innovation est une aventure : la démarche se construite pas à pas, sans grande programmation ni objectifs prescrits d’en haut, sous la conduite d’une direction  forte de convictions sincères et d’attachement aux valeurs de l’Ecole. La régulation n’a pas été de l’ordre de l’évaluation notatoire scolaire, quand on évalue souvent des connaissances que l’Ecole n’a pas su ou pu faire apprendre, mais en s’appuyant sur les nombreux retours d’information et sur les résonances des élèves comme des parents et sur l’intérêt porté par les professionnels sollicités. Il y a de la « métis  dans cette idée folle, cette ruse grecque qui permit à Ulysse de se départir de toutes sortes de mauvais coups rencontrés sur la route.


 

L’innovation, c’est du développement professionnel : à défaut d’une formation académique et standardisée, l’équipe puise à d’autres sources, celles juste à côté, en co-formation, d’autres encore, pas très loin de son école ; l’écoute de ses élèves comme l’analyse des travaux ;   le processus est puissant, celui d’un développement professionnel continu qui inverse la représentation plus classique de l’enseignement (et de l’enseignant) : des enseignants qui apprennent, ce sont des élèves qui réussissent.

 

L’innovation s’intéresse de très prés aux savoirs d’expérience : aux origines de la pratique du réseau d’échanges, au cœur du réacteur scolaire, le lycée y place une énergie durable : celle d’une enquête inédite, patiente, obstinée sur la connaissance ; celle que déclinait Paul Valéry en un jeu de mot que Lacan n’aurait pas dédaigné, d’une  « co-naissance ».  Le savoir n’infuse pas et ne se donne pas, il se prend, et même, chose folle, il… s’apprend par, avec et pour les autres. L’Ecole peut être un refuge bien gardé pour les savoirs dits formels, ou encore dits académiques, ceux qu’on identifie de « fondamentaux ».

 

L’innovation devient organisation apprenante. Les anciens élèves, tous, le signalent : apprendre le goût d’apprendre, le sens des choses et la vie. Ce sont donc d’autres types de savoirs qui se construisent, sans doute ceux qui rentrent moins dans les cases, des savoirs non formels, ceux qu’on identifie dans la vie d’adulte comme des savoirs d’expérience ; ils sont multiples et n’ont pas fait l’objet d’un enseignement, et pourtant, ils comblent votre vie ; et puis tous les autres, les savoirs informels.  Ce capital humain est une des composantes de la réussite des bons élèves, quand les parents et l’environnement y pourvoient.  Le réseau d’échange de savoirs à l’Ecole l’intègre de manière explicite au sein de l’enceinte scolaire ; cela commence par une relation : elle n’est pas donnée, elle se construit en coopération et en mutualisation. Le groupe d’élèves devient organisation apprenante en élargissant son activité à l’enseignante, à son environnement, en partant à la quête des petits savoirs, ou mieux,  à l’enquête des pratiques : « dis-moi ce que tu sais  et je te dirai ce dont j’ai besoin ». La liste des offres et des demandes caractérise ce maillage des interactions, illustration incarnée d’une mise en relation, étymologie propre de inter-ligere.

 

L’innovation, en anglais on dirait plutôt « empowerment » :  il convient de prendre en considération les  parcours de vie des anciens élèves  trop rare dans l’éducation, l’impact des pratiques enseignantes sur les élèves.  Quelle est l’expérimentation qui s’offre le luxe de se dire « que sont-ils devenus ? ».  A évaluer trop vite, tout, trop tôt, on oublie que le principal facteur du changement, c’est d’abord le temps. La formation reçue ici se fait trans-formation ; chacun a pu engranger, capitaliser, transformer des ressources. L’inédit ou l’inattendu sont au rendez-vous ; ce fut un geste, une parole, un moment mais qui imprime une vie. C’est très proche de ce que Boris Cyrulnik a retrouvé dans l’analyse du processus de résilience. Le message est à double tranchant pour notre monde scolaire : d’une part, oui, l’enseignant a un effet majeur sur le parcours de réussite des élèves.

 

L’innovation est d’autant plus efficace qu’elle s’appuie et se nourrit de son environnement. Dans certaines contrées d’Afrique, on dit qu’il faut un village pour élever un enfant. L’Ecole pour assurer sa mission pour tous les élèves n’est pas hors de la société, elle est partie prenante et y puise ses ressources comme elle en partage de même ses difficultés ou ses tensions. Ce n’est pas un lieu neutre ; mais pour reprendre Pierre Nora, c’est un « lieu de mémoire » ; transmission des savoirs certes, elle est aussi un lieu d’exploration de toutes les ressources et les potentialités. La démarche est classique quand elle est ponctuelle ; elle devient efficace quand elle construit le quotidien. Le réseau d’échange de savoirs change l’équation scolaire un maître/une classe/des élèves/des savoirs ; en élargissant le champ des possibles, il en renforce les possibilités du système à répondre aux objectifs toujours ambitieux : élever des enfants à la hauteur d’hommes et de femmes autonomes, responsables et citoyens.

 

L’innovation requiert ingénierie et transposition pour essaimer. Une pratique toute innovante soit-elle dans l’éducation ne peut essaimer sur le modèle d’une tâche d’huile dans un système éducatif tel que le nôtre. Cela nécessite un étayage plus soutenu dans la proximité (les collègues, l’inspection, la formation), une analyse plus théorisée pour la relier au réseau des connaissances et une certaine ingénierie pédagogique, comme une boite à outils : les listes, sous forme d’inventaire, les récits de pratiques, la diversité des terrains sont des médiations absolument nécessaires pour en transposer le concept, si ce n’est l’esprit.  La plupart des organisations actuellement s’accommode des dynamiques puissantes des réseaux ; le milieu scolaire le découvre, et c’est au lycée Montaigne à Mulhouse.



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