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C'est le rôle des experts (ou) de la hiérarchie de me dire comment faire.

Les Experts est une peinture à l'huile sur toile réalisée par l'artiste français Alexandre-Gabriel Decamps en 1837., Œuvre satirique, le tableau est une singerie, dans lequel est représenté un groupe de singes qui examinent un tableau, habillés de la tenue de messieurs français, représentatifs des critiques d'art. Le tableau que le groupe examine est un paysage de Nicolas Poussin, un peintre français du XVIIe siècle1. L'œuvre de Decamps, qui a été présentée à l'origine au Salon de Paris de 1839, est exposée au Metropolitan Museum of Art1,2.


L'évolution des systèmes éducatifs contemporains pose avec acuité la question du développement professionnel des enseignants. Longtemps conçu dans une logique descendante, où experts et hiérarchie dictaient les bonnes pratiques, ce modèle montre aujourd'hui ses limites. La complexité croissante des situations d'enseignement, la diversité des contextes d'exercice et l'accélération des changements sociétaux interrogent cette vision traditionnelle du rapport entre prescription et action.

Comment penser le développement professionnel des enseignants au-delà du simple schéma transmissif ? Quelle place accorder à l'expertise individuelle face aux injonctions institutionnelles ? Ces questions, loin d'être uniquement théoriques, touchent au cœur même de l'identité professionnelle enseignante et de son évolution.


Les logiques contradictoires du développement professionnel

La relation entre les enseignants et leur hiérarchie illustre une tension structurelle profonde dans les systèmes éducatifs contemporains. D'un côté, l'administration centrale conçoit des dispositifs de formation standardisés, pensés comme des réponses universelles aux défis pédagogiques. De l'autre, les enseignants sur le terrain perçoivent souvent ces prescriptions comme déconnectées des réalités concrètes de leur pratique quotidienne.

 

En France, les rapports de l'Inspection Générale et les circulaires ministérielles définissent des cadres généraux que les enseignants reçoivent avec un mélange de résignation et de frustration. résultat sans doute d'un modèle jacobin où la verticale administrative prime sur l'expertise terrain. Selon une étude récente du CNESCO, 67% des enseignants français considèrent que les formations institutionnelles ne répondent pas directement aux défis qu'ils rencontrent quotidiennement. Cette perception crée une distance croissante entre les attentes hiérarchiques et les besoins réels des praticiens. François Muller identifie  un "paradoxe français" : alors que les enseignants disposent d'une réelle liberté pédagogique dans leur classe, ils manifestent un rapport ambivalent à leur propre expertise. Cette situation s'explique par plusieurs facteurs historiques et sociologiques.

 

D'abord, la perception d'une hiérarchie omnisciente mais distante crée ce que les sociologues nomment une "double contrainte" : les enseignants doivent à la fois se conformer à des prescriptions générales et répondre à des situations locales spécifiques. Cette tension génère un sentiment de solitude professionnelle, parfois masqué par un conformisme de façade. Comme le note une étude récente de la DEPP, 72% des enseignants français déclarent se sentir "seuls face aux défis quotidiens", malgré la multiplication des dispositifs d'accompagnement.


 
Vous et votre chef d’établissement

Cochez les cases qui correspondent à votre situation actuelle


Ce que les chefs d’établissement perçoivent de l’activité d’un « bon » prof

  • un attachement à faire progresser les élèves, en particulier les plus en difficulté ;

  • une attention dans les écrits communiqués à l’attention des élèves et des familles (appréciations, mots dans le carnet, communication sur les activités de classe) ;

  • des relations régulières, informelles et franches, sur les évolutions constatées, sur les risques et les chances d’une action ou d’un dispositif, sur les perspectives de résultats, sur l’analyse d’une situation problématique ;

  • une dynamique d’évolution professionnelle, soit dans la découverte et l’appropriation des objectifs de l’établissement, soit dans l’approfondissement de son métier (reprise d’études, parcours de formation, participation à des réseaux, contribution à des actions en partenariat)

  • un positionnement professionnel de collaboration avec les personnels de l’établissement, certes avec ses pairs, mais aussi avec la vie scolaire et les agents de service par exemple.

  • Une créativité professionnelle observée dans l’ingénierie pédagogique (supports de cours, exploitation du numérique, expérimentation de méthodes), accompagnée d’une analyse partagée avec quelques collègues et la direction ;

  • Une recherche de collaboration professionnelle pour soutenir ou construire une équipe (de classe, de niveau, de cycle, de projet), pour réguler les problèmes inévitables et trouver les solutions durables et équitables pour tous (question de l’exclusion, des incivilités par exemple).

  • Un intéressement pro-actif à des instances de l’établissement pour étayer et développer son action en classe et renforcer les progrès des élèves ;

 

Les moyens, méthodes et techniques pour récolter l’information sur les pratiques 

  • laisser la « porte ouverte » pour des temps informels d’échange ;

  • s’intéresser au suivi pédagogique des cours (cahier de classe, activités inscrites dans l’ENT) ;

  • décoder ce que perçoivent les élèves et leurs parents lors d’entretiens ;

  • observer un cours en classe, à l’invitation de l’enseignant, ou encore à l’occasion d’une visite de l’inspecteur pédagogique ;

  • participer à un conseil de cycle, un pré-conseil de classe, à une réunion de professeurs de même discipline ;

  • faire des entretiens personnalisés et pas seulement en vue de la notation de fin d’année ;

  • participer à un groupe-projet ou à un comité de pilotage d’un dispositif ou d’un projet ;

  • fréquenter les couloirs de l’établissement pour mesurer l’ambiance des classes et voir l’état des pratiques (les salles sont souvent vitrées) ;

  • entendre les délégués des élèves réunis en conseil ou encore le comité de vie lycéenne en lycée ;

  • lire attentivement les appréciations portées sur les bulletins de notes des élèves ;

  • prendre connaissance des rapports d’inspection et en parler avec l’intéressé ;

  • faire un point régulier sur les formations suivies, individuellement, et celles sur site.

  • Faire le sociogramme de l’équipe enseignante (qui travaille avec qui, qui prend tel rôle ou telle responsabilité) ;

  • Estimer le degré de connaissance et d’appropriation du projet d’établissement, ou du référentiel enseignant ;

 

Ce que les chefs d’établissement mettent en œuvre pour soutenir l’activité enseignante 

  • Reconnaître les progrès et les petites réussites pour tel ou tel ;

  • Solliciter des retours d’information ou de rendre compte à l’issue d’une participation à une formation ou à un forum par exemple pour envisager ensemble la suite au bénéfice des élèves de l’établissement ;

  • Faciliter la constitution d’équipes sur projet et sa mise en œuvre par quelques aménagements horaire par exemple ;

  • Communiquer sur la valeur professionnelle auprès de relais académiques (inspection, services rectoraux, Cardie) ;

  • Mettre en relation l’enseignant en fonction des opportunités (partenariat, échanges, séminaires, forum, formation) ;

  • Attribuer quelques moyens complémentaires pour développer l’activité ayant un impact réel sur les élèves ;

  • Organiser une mutualisation des bonnes pratiques en initiant un groupe de travail, soit sur le mode résolution de problèmes (ex. bavardage), soit sur le mode projet (ex. évaluation par compétences) ;

  • Participer au développement professionnel de l’enseignant (équipe, réseaux, changements internes, mobilité externes, activités complémentaires comme la formation) à l’occasion des entretiens ;


 

Ensuite, la sacralisation de la "Recherche" avec un grand R, dans le discours institutionnel produit des effets paradoxaux. Les enseignants français, tout en valorisant les apports théoriques, tendent à dévaluer leur propre expertise de nature empirique. Ils sont peu habitués à différencier les sources de la recherche aussi. Ce rapport complexe à la recherche se traduit par une forme d'autocensure : de nombreux enseignants hésitent à formaliser leurs pratiques  et partager leurs innovations pédagogiques, considérant qu'elles manquent de légitimité "scientifique". Cette situation contraste fortement avec des pays comme la Finlande ou le Japon, où la recherche-action menée par les enseignants est considérée comme une source légitime de savoir professionnel.

 

La formation continue elle-même reflète ces tensions. Les stages officiels, souvent construits sur un modèle académique descendant, peinent à reconnaître et valoriser l'expertise terrain. Un inspecteur général de l'éducation nationale témoigne : "Nous observons une forme de résistance passive : les enseignants assistent aux formations mais développent en parallèle leurs propres réseaux d'échange et de formation informelle."

 

Le contraste avec d'autres systèmes éducatifs est saisissant. En Finlande, le développement professionnel repose sur une toute autre conception des rapports hiérarchiques. Les enseignants, formés au niveau master avec une forte composante recherche, sont considérés comme des experts légitimes de leur pratique. La hiérarchie joue un rôle de facilitateur plutôt que de prescripteur. Là-bas, la formation continue n'est pas perçue comme une injonction, mais comme un droit et une opportunité de développement professionnel. Les enseignants sont associés à la conception même des dispositifs de formation, réduisant ainsi le sentiment de subir des prescriptions déconnectées.

 

La transformation effective des pratiques pédagogiques ne peut provenir d'une logique descendante, mais doit émerger d'une dynamique collaborative où chaque enseignant devient acteur de sa propre transformation professionnelle. , L’expertise émerge du terrain et non des bureaux administratifs..

 

L'exemple estonien illustre également une autre voie possible. Dans ce pays, la transformation numérique de l'éducation s'est faite en s'appuyant sur l'expertise des enseignants pionniers, plutôt que par des injonctions descendantes. Les initiatives locales ont été valorisées, documentées et progressivement diffusées, créant un cercle vertueux d'innovation participative.

 

De la prescription subie à l'appropriation active

Pas de prescription intelligente sans intelligence de la prescription. L’'efficacité d'une formation dépend de son appropriation par les enseignants. La prescription, quand elle est mal comprise ou mal vécue, devient un frein plutôt qu'un facilitateur d'amélioration pédagogique. La tension entre prescription et autonomie n'est pas une fatalité..  Dans son ouvrage « Visible Learning », Hattie démontre que l'impact des formations traditionnelles sur les apprentissages des élèves est souvent marginal. Sur une échelle d'effet allant de 0 à 1,2, les formations standardisées obtiennent en moyenne un score de 0,4, contre 0,8 pour des dispositifs co-construits et contextualisés. L'efficacité d'une réforme ou d'une innovation pédagogique dépend moins de son contenu que de la manière dont les enseignants se l'approprient

 

Au Japon, le système des "Lesson Studies" offre un modèle de résolution de cette tension. Les enseignants y développent leur expertise à travers des cycles de recherche collaborative, où la hiérarchie joue un rôle de soutien et non de contrôle. Ce dispositif permet de conjuguer rigueur méthodologique et pertinence pratique. Les enseignants français réunis en «constellation »  témoignent d'un changement profond dans leur rapport à l'expertise : "Pour la première fois, je me suis senti reconnu comme producteur de savoir pédagogique, pas simplement comme applicateur de méthodes", note un professeur des écoles parisien.

 

En Nouvelle-Zélande, le système éducatif a développé des dispositifs où la prescription devient un cadre ouvert, laissant aux enseignants la possibilité d'interprétation et d'adaptation. L'objectif n'est plus de contrôler, mais d'accompagner le développement professionnel.

 

En Estonie .les enseignants disposent de 10% de leur temps de service pour des activités de recherche et de développement professionnel, sans contrainte hiérarchique stricte. Cette approche témoigne d'une confiance institutionnelle qui reconnaît la capacité des praticiens à s'auto-former.

 

L'engagement individuel comme moteur de transformation - Des initiatives qui changent la donne

En France, malgré un contexte institutionnel ressenti comme pesant, des initiatives prometteuses émergent. Dans l'académie de Créteil, un groupe d'enseignants a créé un "laboratoire de pratiques" autonome. Sans attendre d'autorisation hiérarchique, ils ont mis en place des observations croisées de classes, des analyses de pratiques et des expérimentations pédagogiques documentées. "Au début, certains collègues craignaient la réaction de l'inspection. Nos résultats ont parlé d'eux-mêmes", témoigne une enseignante de collège.


Les réseaux numériques amplifient cette dynamique d'auto-organisation. Sur X(ex-Twitter), le hashtag #EduProfs rassemble plus de 15000 enseignants français qui partagent quotidiennement leurs innovations. Cette communauté informelle produit des ressources, organise des webinaires et soutient l'expérimentation pédagogique. François Muller le souligne : "Ces réseaux horizontaux comblent un manque institutionnel en offrant un espace de développement professionnel authentique."

En Espagne, où le système éducatif présente des similitudes avec la France, des "cercles d'innovation pédagogique" autogérés ont obtenu une reconnaissance officielle. Ces groupes, initialement informels, sont devenus des acteurs légitimes de la formation continue, tout en préservant leur autonomie. Ce modèle inspire actuellement plusieurs académies françaises.


Conclusion

Le développement professionnel des enseignants se trouve à un moment charnière. Le modèle traditionnel, fondé sur la prescription hiérarchique et la défiance envers l'expertise terrain, montre ses limites. Les exemples internationaux, mais aussi les initiatives locales réussies, démontrent qu'une autre voie est possible.

Leviers pratiques pour une transformation :


  1. Reconnaître l'expertise terrain :

    1. Création de portfolios professionnels valorisant les innovations individuelles

    2. Mise en place de "banques de pratiques" alimentées par les enseignants

    3. Intégration des praticiens dans les équipes de recherche universitaires

 

  1. Repenser le rôle de la hiérarchie :

    1. Formation des inspecteurs à une posture d'accompagnement plutôt que de contrôle

    2. Développement de "contrats de confiance" entre équipes pédagogiques et direction

    3. Création d'espaces d'expérimentation protégés

 

  1. Soutenir les initiatives autonomes :

    1. Attribution de moyens aux projets émergents

    2. Reconnaissance des temps d'auto-formation dans le service

    3. Facilitation des échanges inter-établissements

 

Cette transformation nécessite un triple changement : culturel, en dépassant la peur du jugement hiérarchique ; organisationnel, en créant des espaces d'autonomie protégée ; et identitaire, en reconnaissant chaque enseignant comme un professionnel capable de produire des savoirs pédagogiques légitimes.


Modélisation de la transformation du système de formation            

Dispositif classique de formation continue

 

Dispositif de développement professionnel continu

·        L’apprentissage individuel

 

·        L’apprentissage organisationnel

·        Efforts dispersés et fragmentés de la formation

 

·        Stratégie cohérente à l’échelle des unités éducatives et des territoires

·        Approche centralisée

 

·        Approche centrée sur l’unité éducative

·        Prise en charge des besoins et de la satisfaction des adultes

 

·        Prise en compte des résultats d’apprentissage des élèves et des comportements professionnels sur le terrain

·        Formation dé-contextualisée

 

·        De multiples formes locales d’apprentissage professionnel

·        Formation attachée à la transmission des connaissances par des experts

 

·        L’étude par les enseignants des processus d’enseignement et d’apprentissage

·        Formation limitée aux enseignants

 

·        Développement professionnel élargi à tous les membres de la communauté éducative

·        Apprentissage individuel 

 

·        Communautés  d’apprentissage professionnel

Extrait de François Muller, Romuald Normand, Ecole, la grande transformation, les clés de la réussite, éd. ESF, 2014


L'enjeu n'est pas d'opposer prescription et autonomie, mais de les articuler différemment. La hiérarchie peut devenir un soutien plutôt qu'un frein, la recherche un partenaire plutôt qu'une autorité distante, et chaque enseignant un acteur de sa propre professionnalisation.


Comme le résume un principal de collège: "Quand nous avons commencé à faire confiance à l'expertise de nos enseignants, c'est tout l'établissement qui s'est mis en mouvement." Cette dynamique, encore émergente, pourrait bien préfigurer l'avenir du développement professionnel enseignant en France et ailleurs.



Ce post est extrait d'une série de 20 textes sur les idées reçues en développement professionnel et surtout les dépasser. voir ici


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