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Assurer la sécurité des apprentissages


En 20201, 94,1 % des collégiens déclarent se sentir bien dans leur établissement. Plus positive pour les filles que pour les garçons, l’opinion des collégiens sur le climat scolaire devient légèrement moins favorable au fil de la scolarité. Les insultes, les vols de fournitures scolaires, les sur- noms désagréables et l’ostracisme sont les quatre atteintes les plus souvent citées. De façon globale, le nombre de collégiens déclarant un nombre d’atteintes pouvant s’apparenter à du harcèlement est en légère baisse. Cette multivictimation concerne plus souvent les garçons et est plus fréquente pour les élèves de sixième1. De quoi parle-t-on exactement quand on dit violence, incivilités ou insécurité ? Pour éviter trop de décalage par rapport à la « société civile », que peut faire l’enseignant, seul, ou mieux, en équipe, et assurer ou rétablir un climat de sécurité suffisant pour apprendre ? Avant de traiter une urgence, c’est d’abord un devoir.

 

Au cours de l’année scolaire 2020-2021, les inspecteurs de l’éducation nationale (IEN) ont déclaré 2,8 incidents graves pour 1 000 écoliers. Aucun incident grave n’est déclaré pour huit écoles publiques sur dix contre un établissement du second degré sur trois. La violence en milieu scolaire se manifeste principalement par des atteintes aux personnes. Dans les écoles publiques, les enseignants sont impliqués comme victimes dans la moitié des incidents graves déclarés par les IEN et les élèves dans 27 % des cas. Dans le second degré des secteurs public et privé sous contrat, les enseignants sont victimes dans un quart des incidents graves signalés par les chefs d’établissement.Les élèves et groupes d’élèves le sont dans 41 % des cas. Cette violence envers les enseignants est principalement verbale, surtout dans le second degré. Dans les collèges et les lycées, des élèves ou des groupes d’élèves en sont très majoritairement les auteurs. Dans les écoles publiques, elles sont commises pour la moitié d’entre elles par des membres de familles d’élèves et l’autre moitié par des élèves.


 LA SÉCURITÉ NE VA PAS DE SOI EN CLASSE

Dans une classe de cinquième d’un collège de la petite couronne, à l’est de Paris, on a proposé une étude de cas aux dix-neuf élèves : « Un professeur se fait agresser physiquement par un élève, qu’en   pensez-vous ? » Quatre élèves sont contre ; six expriment des sentiments partagés ; trois sont fatalistes ; sept cherchent une justification à l’élève agresseur

 Un élève m’a violemment pris à partie en classe, c’était physique ; les autres n’ont pas bougé.

Ce qui donne quand même un total de plus des trois quarts des élèves qui pensent l’acte possible : la perception de l’École par les jeunes a profondément changé, la séparation des univers culturels est trop importante, une série d’inhibiteurs de l’action est tombée.

Ces "problèmes" sont apparus avec la massification scolaire sans réelle démocratisation. Les "nouvelles problématiques éducatives" (NPE), d’après, Benjamin Moignard, Professeur à l'université de Cergy, président de l'Observatoire Universitaire International Education et Prévention (OUIEP) en sont les marqueurs politiques et apparaissent selon le calendrier politique. Ainsi la question du voile apparait dans le contexte des politiques d'immigration. La question de la laïcité est marquée par les attentats de 2015. Il identifie ainsi une dizaine de NPE entre les années 1980 et aujourd'hui : échec scolaire, handicap, décrochage, violence à l'école, harcèlement, complotisme, laïcité, tous en lien avec les difficultés de la démocratisation scolaire et avec les débats politiques.


 A chaque problème les politiques répondent par un dispositif vite présenté comme un programme magique. Comme si ces problèmes ne pouvaient pas trouver de solution dans le fonctionnement normal de l'école. "On est dans le déni de la complexité", explique B Moignard. "On propose une vision qu'on dit très ancrée dans la recherche mais en même temps on a une considération très relative pour la science".

 

La violence : une question d’ambiance avant tout…

 On peut expliquer cette évolution par trois faisceaux convergents.

 

1.Un accroissement des inégalités socio-économiques et la fin de l’École- récompense. En bout de chaîne, par cumul de problèmes, l’École ne respecte plus la règle du jeu du progrès social depuis 1979 que la société politique lui avait assignée. Une nouveauté apparaît : la pauvreté des jeunes ; la « promesse sociale » (soumission contre récompense) ne tient plus et agresse littéralement l’idéologie de l’École (la rétribution). On assiste donc à la désarticulation d’un système logique, où les nombreuses failles permettent l’intrusion de la violence :

  • égalité des chances versus excellence scolaire ;

  •  éducation versus civilisation des violences ;

  •  formation versus préparation au chômage ;

  •  promotion des intérêts versus promotion du « socialement utile » ;

  • ascenseur ascensionnel versus ascenseur qui fait descendre (exclusion) ;

  • mythe du tout puissant, substitut de la famille versus école comme expérience subalterne ;

  •  premier budget de l’État versus sentiment d’être les oubliés de l’État.

 

2.La mutation accélérée du statut de la jeunesse. Les enquêtes récurrentes sur les valeurs partagées par les jeunes viennent buter sur deux mondes, entre violence et solidarité. Cette représentation un peu noire atteste que le statut d’enfant et d’adolescent a changé, sous les coups de butoir d’une logique d’argent (les jeunes ont de l’argent très tôt et sont des consommateurs, voire des prescripteurs, à part entière), d’un accès au monde de la sexualité précoce (même si l’âge moyen du premier rapport évolue peu), de l’exposition à la violence réelle du monde (images télé)… Jean-Louis Auduc1 cite le cas de jeunes tentés par le départ en Syrie qui présentent un profil particulier. Ce ne sont pas de vrais musulmans mais des jeunes sans racines qui cherchent des idéaux et sont en profonde crise identitaire, quant à leurs origines propres, quant à la vie numérique confusionnante, quant à leur utilité sociale ; par défaut de réponses intégratives par le groupe social des pairs ou de l’école, ces jeunes sont vite rattrapés par d’autres mirages. Cela peut entraîner une certaine anxiété qui explique les recherches de protection auprès des adultes, ou des institutions ou des copains. C’est au choix, c’est-à-dire au moins défaillant des trois ! À ce jeu, l’École ne gagne pas toujours.

 Jean-Louis Auduc, Faire partager les valeurs de la République, Hachette, « Objectif Concours », 2014.

3.Les évolutions profondes de la condition enseignante. Les univers culturels et mentaux enseignants-enseignés connaissent ce qu’en économie on appelle la « crise des ciseaux ». Bon nombre de collègues témoignent d’une méconnaissance du public dit « populaire », n’en étant pas issus eux-mêmes, ou étant insuffisamment formés sur la question. Ce phénomène est accentué par un changement sociologique quasi historique qui touche par exemple le recrutement des professeurs des écoles au niveau licence et, depuis 2009, avec un master de didactique, qui n’inclut pour l’instant aucune composante pédagogique et professionnelle ; enfin, les écoles connaissent une partition spatiale très inégalitaire. Il y a des « zones » difficiles et des zones préservées.

 

Depuis une vingtaine d’années, la profession se sent menacée dans ses valeurs, ses certitudes, ses espoirs. La formation initiale est intégrée à l’université, dans le cadre d’INSPE dont les formations restent majoritairement didactiques et peu professionnalisées ; l’encadrement de type associatif, professionnel ou syndical est en perte de vitesse historique. Confrontés aux difficultés nouvelles du métier, insuffisamment préparés professionnellement, les enseignants peuvent être soumis à la tentation de la répression et de la pénalisation ou de l’exclusion, une dérive constatée sur le terrain, renforcée en cela par les évolutions politiques nationales et le niveau délétère de certains débats publics.

 

IL EST POSSIBLE D’AGIR DANS DES SITUATIONS   DÉGRADÉES

 Depuis 1990, les études approfondies sur la violence en milieu scolaire ont montré la forte prégnance des indicateurs de type socio-éconmiques et environnementaux, constat quasi normal dans une société libérale, à hauteur de 75 % des cas. Il n’en reste pas moins que dans 25 % des cas, ce sont des facteurs internes à l’École ou au collège qui expliquent les situations. Autrement dit, à conditions égales (recrutement, niveaux scolaires), deux écoles, deux collèges peuvent présenter des « climats de vie scolaire » et des réussites d’élèves radicalement opposés.


Les méta analyses ont identifié sept "piliers" du climat scolaire : la justice scolaire, la pédagogie de la coopération, la prévention des violences, la stratégie d'équipe, la coéducation, les pratiques partenariales et la qualité de la vie à l'école.

Les propositions envisagées ici ne valent qu’en articulant étroitement pratiques individuelles et cohésion de l’équipe d’adultes, réaffirmées explicitement dans le référentiel enseignant en 2013 par le nécessaire élargissement du cadre de référence de l’enseignant à son établissement (voir le chapitre 6 « Travailler en équipe »).

 

Il s’agit d’abord de s’extraire d’un cercle parfois infernal et de faire le pas de côté nécessaire pour analyser ensemble de quoi il est question. L’ambiance délétère des incivilités répétées n’a pas la même portée qu’un acte de violence caractérisée. Des outils fiables, reconnus car partagés, sont absolument nécessaires.

 

 

Définir son objet d’analyse : violence, incivilité, situation violente

 « Peut-on s’accommoder des violences à l’école ? Mais de quelles violences parle-t-on ? Derrière une violence événementielle (telle la fusillade devant l’école de Toulouse en mars 2012), anomique, éruptive, visible, directe (la série en 2015 à Paris), mais rare, se cache une réalité plus ordinaire, endémique, quotidienne, invisible, indirecte. Plus sourde, elle se manifeste par les incivilités, la microvictimation, le bullying ou harcèlement1. »

 

La violence s’identifie par des actes relevant du Code pénal : infractions, délits, crimes. Tout le reste est abus de langage ou glissement de sens. Si l’on se tient à cette définition, l’École en comparaison avec d’autres milieux (famille, route) est encore préservée. Suivant cette catégorisation, la question n’a pas de commune mesure par rapport à ce qui se passe aux États-Unis, par exemple.

 

L’incivilité englobe tous les actes infralégaux, non pénalisables, difficiles à enregistrer, et donc non pris en charge. En masse critique et non sanctionnés, ils renvoient les per-sonnes au sentiment d’impuissance et d’effritement de leur propre représentation du monde. La crise de la violence à l’école présente donc aussi une dimension identitaire très importante et peu prise en compte actuelle- ment dans bien des cas.

Le chewing-gum dans la serrure pour la vingtième fois, cela me pourrit la vie.

Une situation violente est une épreuve impliquant des enjeux élevés où l’anxiété est prédominante. C’est cette relation entre anxiété et enjeux personnels qui rend les réponses violentes si fortes dans des situations fermées. La violence est alors une porte de sortie rapide ou un court-circuit (d’après Jacques Pain, Paris 10-Nanterre).

 1. Le numéro d’EduSarthe, publié par l’inspection académique de la Sarthe, comprenant des apports de Georges Fotinos, Bernard Defrance met en évidence le rapport entre violence scolaire et établissement. https://www.pedagogie1d.ac-nantes.fr/sarthe/ressources-departementales/publications/edusarthe/collection-references-/violences-a-l-ecole-prevenir-agir-contre-232884.kjsp?RH=1642492650136

 

Les points faibles se trouvent à la fois dans l’efficacité du système éducatif, dans le climat scolaire et dans l’éducation à la santé, trois domaines qui tous interrogent l’École. Les plus mauvais résultats français concernent directement l’efficacité de l’École, à la fois par son classement médiocre dans les indicateurs PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) et par les inégalités à l’intérieur de l’École. L’École française s’avère particulièrement inégalitaire pour les enfants issus de l’immigration ou défavorisés. De mauvais résultats concernent aussi le rapport à l’École. Il s’agit du harcèlement, où le pays est 17e sur 24, et de l’attache- ment à l’école où il est classé 18e. Le plus mauvais indicateur concerne l’exercice physique. Les jeunes Français sont 23es sur 24. Seuls les Suisses font moins d’exercice.

 

PROCÉDER À L’ANALYSE DU FONCTIONNEMENT DU GROUPE-CLASSE

 Roger Fontaine explique le phénomène de harcèlement en mettant en cause le faible apprentissage du vivre ensemble dans l’école française. Car pour lutter contre la violence scolaire il faut « développer la personnalité sociale » des élèves.

 

« L’exposition à la violence à l’école, les contacts avec des pairs délinquants, la perception du climat scolaire, l’attitude vis-à-vis de l’école, le rendement scolaire et la persévérance d’un élève varient suivant l’école ou la classe qu’il fréquente, même quand on tient compte de ses caractéristiques personnelles, estime Benoît Galand1. L’effet-classe apparaît nettement plus fort que l’effet-établissement ». La prévention passe d’abord par les petits gestes et les petits mots du quotidien dans la classe, tout au long de l’année.

Procédez avec plusieurs professeurs de la classe à une analyse de nature sociologique, voire parfois ethnographique de la situation du groupe : quels sont les groupes d’appui ? Qui sont les leaders positifs, les leaders négatifs ? Quelle est la proportion du « marais » ? Y a-t-il des boucs émissaires ?

J’ai hérité d’une classe composée de tous les « fonds de classe » de l’année précédente. C’est ingérable.

1. Cahiers du GIRSEF, n° 69, univ. Louvain, http://urlz.fr/6QGF

 

À cet égard, la technique du sociogramme se révèle plus qu’utile car les élèves participent à ce diagnostic. (Sur la technique du sociogramme et son utilisation possible, voir le chapitre « Gérer les relations », p. 79.)

L’analyse ethnographique n’est pas une étude ethnologique : attention aux dérives « communautaristes » pouvant être générées par l’École elle- même. Le débat sur l’ethnicisation des faits à l’école est actuellement très problématique. Celle-ci est sans doute le fait de certains élèves qui, autour de valeurs « ethniques » se (re)construisent une identité à défaut d’autres identités reconnues. De manière plus ambivalente, elle peut être le fait des adultes par effet de stigmatisation : « ils » ont des difficultés (culturelles, implicitement) par rapport à « nous » ; leurs difficultés scolaires s’expliquent par « leur » culture d’origine. Cela dit avec les meilleurs sentiments du monde.

Dans mon établissement, il y a la classe des blacks et la classe des blancs.

Les enseignants des classes non francophones, des classes d’accueil, connaissent bien cette distorsion. La nouveauté, c’est qu’elle interpelle à présent tout enseignant, pour peu qu’il exerce en milieu urbain ou périurbain, et pas seulement à Paris ou à Marseille. Toute dérive ethniciste arme par conséquent la situation qui peut alors dégénérer, parfois pour un prétexte des plus futiles.

 

Si vous vous trouvez dans ce cas très particulier, qui vous dépasse forcément :

  • - Travaillez à court terme à donner une identité positive à la classe : valorisation des petites réussites, démarche de projet. (Reportez-vous aux chapitres 4 « Négocier des contrats d’études » et 21 « Diriger des projets ».)

  • - Recherchez toutes les fois que cela est possible un partage, voire un mixage des élèves avec ceux d’autres classes (dispositifs transversaux, groupes de besoin,  ateliers  périscolaires,  sorties, groupes EPS).

  •  - Envisagez un partenariat avec un « ailleurs » (autre établissement, d’un autre niveau, une entreprise, une maison de retraite1, etc.).

  • -  Interrogez en conseil de classe, commission permanente, conseil pédagogique, sur les procédures d’affectation, les mesures d’orientation et les pratiques d’évaluation. Toutes ces microdécisions peuvent provoquer des effets pervers et coûteux pour les élèves, pour vous et pour l’établisse- ment. (Voir le chapitre 6 « Travailler en équipe ».)

 1. Voir la classe relais et le dispositif intergénérations de Monique Argoualch à Brest, http://www.intergenerations.infini.fr/spip.php?rubrique16  

La suite demain


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