Tout se passe comme si le concept de besoin était clair pour tous. Les équipes ont une tendance forte à répondre trop vite par des dispositifs de toutes sortes – remédiation, classes, structures, etc. –, sans prendre réellement le temps ni se donner les moyens conceptuels de faire l’analyse… de besoins. D’où les ratages et les décalages.
Prospecter les besoins, c’est d’abord se poser cinq questions : Qui sont nos élèves ? Quels sont leurs besoins, notamment lors des changements de cycles ? Que ne savent-ils pas faire ? Comment le savons-nous ? Quelles sont les réponses adaptées et plus efficaces devant des besoins aussi divers qu’importants pour nos élèves ?
QUI SONT NOS ÉLÈVES ?
Se confronter à cette question, c’est d’abord accepter que l’élève est une personne, et entendre que bien des aspects le concernant dépassent le cadre de l’École. Ces facteurs ont une influence sur la vie de l’élève en classe. La littérature en psychopédagogie abonde, en prenant appui sur des approches théoriques universalistes, parfois déviées de leur domaine d’étude et mal comprises, comme les stades de développement d’après Piaget, contredit à présent par les acquis des recherches en neurosciences. On trouve régulièrement la théorie de la hiérarchisation des besoins élaborée par Abraham Maslow en 1954.
Maslow à l’École : besoins des élèves dans un cadre scolaire toujours trop rigide
En prenant une distance critique, cette approche signale cependant l’importance d’assurer la sécurité des personnes et des relations, et la nécessité de construire des liens d’appartenance, deux dimensions qui assurent un climat favorable aux apprentissages (voir chapitre 15).
La hiérarchie des besoins- Selon Maslow, tous les individus souhaitent satisfaire cinq catégories de besoins, classables par ordre d’importance ; hiérarchie qu’il matérialise par une pyramide. Pour qu’un besoin soit ressenti, il faut que celui qui le précède soit satisfait.
Les besoins physiologiques seraient, globalement, satis- faits dans la société actuelle (dans les pays développés). Les besoins psychologiques de sécurité, tels que la stabilité de l’emploi ou le devenir, voient leur acuité croître en période d’instabilité économique. Les besoins d’appartenance s’expriment par le souhait d’être aimé et d’être intégré dans un groupe.
Les besoins d’estime se traduisent par l’exigence de représenter une certaine valeur tant à ses yeux qu’à ceux des autres membres du groupe. Enfin, les besoins de réalisation de soi s’expriment par le désir de mettre en œuvre ses facultés, de faire œuvre créatrice, de repousser ses propres limites et, plus simplement, de se perfectionner. Apprendre…
À noter : répondre à un besoin spécifique n’entraîne pas les mêmes effets selon les niveaux. Ainsi dans les bas degrés de la pyramide, la satisfaction des besoins entraîne une extinction temporaire de ceux-ci. Plus on monte les degrés de la pyramide, plus la satisfaction des besoins entraîne une motivation intrinsèque.
Je suis confronté à de tels besoins, toutes dimensions confondues, que je ne sais que faire.
L’école génère les besoins des élèves, le cas des « décrocheurs »
«La responsabilité du décrochage scolaire est souvent attribuée à des problèmes de déficience parentale. Parfois également elle se naturalise dans une vision du jeune paresseux… Ces deux visions sont pour nous autant de simplismes qui dédouanent le milieu scolaire de toute influence dans la construction de ce décrochage. »
D’après Catherine Blaya1, « Il ne s’agit pas de dire que “c’est la faute à l’école” mais de montrer que dans ce phénomène hypercomplexe il faut tenir compte aussi bien des facteurs exogènes qu’endogènes. » L’École peut parfois engendrer l’ennui, le mépris, l’hypocrisie scolaire. Mais il y aussi les décrochages liés à la précocité intellectuelle ou à la violence scolaire, c’est dire que les pro- grammes de prévention doivent être variés.
1. C. Blaya, Décrochages scolaires. L’école en difficulté, de Boeck, Bruxelles, 2010 ; à compléter avec Pierre-Yves Bernard, Le décrochage scolaire, Que sais-je n° 3928, PUF, Paris, 2011.
Selon Ariane Baye, le fait d’appartenir à un milieu social défavorisé augmente fortement le risque de décrochage tout comme la composition sociale de son établissement scolaire. Le facteur principal reste la performance scolaire de l’élève et l’environnement de l’établissement : le rôle des pairs est important. Si le taux de décrochage en France est de 8,8, il est de 16,3 pour les jeunes issus de l’immigration. Il y a la question du sentiment d’appartenance et de l’affiliation à son école. La France a un des taux les plus faibles en ce qui concerne le sentiment d’appartenance à son établissement. Notons l’importance des facteurs émotionnels dans la lutte contre le décrochage. « Il faut créer des systèmes où les jeunes aient envie d’aller à l’école », dit P Downes. « L’émotion doit être au cœur des programmes et du climat scolaire. Il faut faire une éducation sociale et émotionnelle. »
Autrement dit, plus vous travaillez, en classe, sur le sentiment d’appartenance, sur l’identité du groupe, sur la valorisation de petites réussites et la dimension créatrice, plus vous avez de chances d’activer le moteur de la motivation si recherchée.
Développer les capacités attentionnelles et sociales des ados
Nicole Devolvé1, en s’appuyant sur les apports des études sur les capacités attentionnelles des élèves, invite les enseignants à ne pas limiter les heures de cours aux meilleurs moments mais plutôt d’apprendre aux élèves à prendre conscience de leurs limites et à mieux gérer leur attention. La même démarche, métacognitive, vaut pour les différents types de mémoire et l’acte d’apprendre (voir le chapitre 19).
Elle ne traite pas d’un autre contenu que celui de faire réfléchir les élèves sur leur fonctionnement et leurs besoins. Des fiches pratiques aident à cette prise de conscience sur les besoins fondamentaux : dormir, manger, gérer son stress (des compétences à la fois fondamentales et peu travaillées à l’École alors qu’elles sont indispensables). Elle propose des exercices concrets pour apprendre aux élèves à gérer leur attention ou leur mémoire de travail et finalement à devenir plus autonomes.
La motivation combine à la fois des capacités d’attention en interaction avec un contexte social en sollicitation avec les pairs et les adultes. Édith Tatar-Godet le développe dans son ouvrage2 : apprendre à se connaître, accepter l’autre, connaître ses capacités, ses limites, respecter les règles de la vie en société. Une centaine d’exercices donne les pistes aux équipes afin de développer ces compétences dans le cadre d’ateliers de parole.
DES BESOINS ENCORE PLUS PRÉGNANTS LORS DES CHANGEMENTS DE CYCLES ?
L’analyse des besoins est un exercice professionnel au long cours. On doit se montrer particulièrement vigilant aux moments de rupture pour les élèves que constituent les passages de cycles, entre école et collège, entre collège et lycée, et les difficultés rencontrées en université nous signalent qu’il faut aussi envisager la question entre lycée et supérieur. La transition école-collège provoque une « importante désorientation » des élèves, surtout pour « ceux qui sont socialement les plus fragiles ou les plus isolés1 ». Ou alors que faites-vous si les prérequis sont défaillants pour la plupart des élèves ? Les équipes ont encore à progresser sur l’analyse partagée des ressemblances/différences entre l’école et le collège : les ignorer ou les méconnaître ne fait qu’aggraver des situations déjà difficiles pour les élèves.
Les élèves doivent avoir des prérequis ; les besoins, ce n’est pas mon rayon.
Nicole Devolvé, Stop à l’échec scolaire. L’ergonomie au secours des élèves, De Boeck, 2010. et Édith Tartar Godet, Développer les compétences sociales des adolescents, Retz, 2007.
La réorganisation en une école du socle commun, parfois présente en milieu rural, encore préconisée par le rapport de la Cour des Comptes en 2021, assigne explicitement à cet objectif, celui d’une plus grande continuité pour permettre le changement et les meilleurs apprentissages des élèves dans une école « moyenne », à l’instar d’autres systèmes éducatifs où la scission n’a pas lieu d’être, du fait d’une construction scolaire historique différente.
La délicate liaison école-collège
École et collège marquent d’abord des différences de fonctionnement et de cultures, souvent fortes au moins sur trois points.
Un maître, dix profs. À l’école, le maître établit une proximité avec les élèves, à l’inverse du collège où la dimension personnelle est nettement moins affirmée : le professeur se fait plus rare, en tout cas plus distant. Cela signifie d’autre part que le mode de guidage est plutôt centré sur l’enfant au primaire, alors que le secondaire insiste plus sur l’élève dans sa dimension beaucoup plus scolaire. Enfin, là où le maître unique garantit un même niveau d’exigences dans la plupart des matières qu’il prodigue, dès le secondaire, l’élève se trouve confronté à de grands écarts selon les disciplines, selon les attentes souvent implicites de ses multiples enseignants.
Des attentes différentes. De la même façon, le travail et ses conditions diffèrent sensiblement. Si l’élève de primaire peut travailler sur une durée plus longue, au collège se succèdent des temps saccadés où le facteur de réussite est la capacité à écrire rapidement. De plus, le travail personnel est manifestement plus important, alors que le guidage se fait moins présent ou moins efficace ; « devoirs faits » au collège semble être un début de réponse.
L’écrit change de sens et de fonction. En primaire, on apprend à écrire ; au col- lège, on copie de plus en plus en cours ; les écrits les plus longs sont réservés aux devoirs à la maison. L’oral, même s’il est sollicité dans le secondaire, est nettement moins valorisé ; les évaluations sont essentiellement écrites.
Ces différences d’encadrement et de culture marquent un saut notable, un seuil de rupture qui permet aussi à l’enfant de grandir ; cette dimension peut parfois engendrer craintes et peurs devant l’inconnu. Souvent, le collège est éloigné, les horaires variables, et l’élève doit ainsi gérer une nouvelle responsabilité (on parle d’« enfant à la clef ») en matière de déplacement, mais aussi d’organisation de son temps libre, dans un domaine où les tentations sont grandes. C’est donc une solitude relative que l’élève doit apprivoiser, en particulier dans l’organisation de ses propres savoirs et de son temps personnel, quand les liens entre les disciplines scolaires sont loin d’être évidents.
Comment adoucir le passage du primaire au collège
La prise en compte de la difficulté de ce passage du primaire au collège peut éviter ensuite aux enseignants d’être confrontés un peu plus tard à des besoins impossibles à couvrir. Dans un cycle 3 qui prend les niveaux CM et 6e, on peut envisager cette prise en compte comme décrit ici, par exemple.
Je ne sais pas ce qu’est un besoin d’élève.
Permettre aux élèves et aux parents de découvrir ce qu’est le collège avant que les enfants n’y entrent :
proposer un livret d’accueil du collège, lisible et pratique ; ce peut être l’objet d’un projet pédagogique mené avec des élèves de cinquième ou de troisième, ceux qui connaissent le mieux le collège par exemple ;
visiter le collège, enquêter au collège, assister à des cours, utiliser le CDI ;
rencontrer les nouveaux parents à l’inscription de leurs enfants ;
mettre en place un tutorat quatrièmes-CM2 ;
faire travailler ensemble sixièmes et CM2 (rencontres sportives, projets divers, tests dans certaines disciplines) ;
étudier en CM2 le système éducatif, le nouveau collège et la projection plus lointaine vers les lycées.
Adapter l’enseignement de part et d’autre :
en CM2 : aborder les méthodes de travail du collège, développer les activités faisant appel à l’autonomie de l’élève, développer l’usage de l’écrit dans les différentes disciplines autres que le français ;
en sixième : une seule salle pour la classe en sixième, bien expliciter les nouvelles méthodes de travail, redonner un rôle et une place à l’oral dans d’autres occasions que la réponse à des questions.
Favoriser les rencontres1
élaborer et réaliser des projets en commun (défis, expositions, sorties) ;
travailler ensemble à la meilleure connaissance des élèves en étudiant cliniquement des parcours, en sixième notamment, pour la constitution des classes, mieux, des parcours entre CM et troisième pour décrypter les dynamiques scolaires ;
anticiper le suivi des élèves en difficulté, en passant le relais entre équipes
éducatives des écoles et les équipes-relais du collège ;
participer à des formations conjointes premier et second degré centrée
sur l’individualisation, la différenciation pédagogique, l’inclusion ;
consacrer un moment à la pré-rentrée pour une rencontre finalisée sur des objets définis à partir des questions des professionnels la valorisation de l’oral, la coopération, l’auto-évaluation par exemple.
QUE NE SAVENT-ILS PAS FAIRE ?
Je ne sais pas ce qu’est un bon élève.
Les besoins de l’élève à l’École, ce sont en premier lieu des besoins en formation, définis à partir du cadre scolaire. Le besoin naît de l’écart entre une situation actuelle, correcte- ment diagnostiquée, et une situation attendue, clairement explicitée. Le besoin n’existe que parce qu’un cadre externe est suffisamment fort pour le faire apparaître. Les dispositifs d’évaluation nationale passées en début d’année scolaire en classe de CP, CE1,, sixième et seconde, partagent cette vocation, notamment dans les années Covid quand la crise accentue les difficultés des élèves.[1]
Quelques indicateurs précisent les besoins des élèves. Par exemple, au primaire, un écolier sur six maîtrise mal le français. Environ 15 % des élèves ne maîtrisent pas les compétences attendues en langue française.
Il n’y a plus d’évaluations nationales ; je n’ai que peu d’idées précises sur ce que savent mes élèves en début de cycle.
Un quart des élèves n’en ont qu’une maîtrise très partielle et devraient rencontrer des difficultés au collège. 28 % restent mal à l’aise dans des activités de synthèse ou d’analyse. Un tiers des jeunes maîtrisent de façon satisfaisante les compétences attendues en fin de primaire.
1. Voir les propositions http://urlz.fr/6uT1
À la sortie du collège, un jeune sur six est en échec. On retrouve les pro- portions du primaire. 15 % des jeunes ne maîtrisent pratiquement aucune des compétences attendues en fin de collège. Ils ne savent ni prélever des informations dans des documents, ni les organiser, ni les exploiter. À l’opposé, un quart des élèves en ont une maîtrise parfaite. Dans une analyse macro, collège conforte (au moins pire), voire parfois aggrave, les situations individuelles et les inégalités. Toutes choses infiniment variables en observation micro, selon les contextes socio-géographiques, les environnements et les histoires individuelles.
Tout dépend de ce que l’on cherche dans l’évaluation : une note ou des repères pour construire une méthode de travail pédagogique ? Attention à la dérive d’utiliser l’évaluation comme moyen de sélection précoce. C’est tentant mais cela ne résout rien, bien au contraire. Il s’agit seule- ment de « mesurer » les écarts par rapport au niveau attendu, les difficultés susceptibles de survenir, pour proposer des remédiations afin de donner des chances d’égalité au savoir. En pratique, il faudra donner plus de temps, de moyens, un environnement riche à ceux qui ont le moins bénéficié de tous ces ingrédients pour se développer.
COMMENT LE SAVONS-NOUS ?
L’observation fine d’un ou de plusieurs élèves au travail, à l’écriture, sous la dictée, dans la lecture d’une consigne, suivie d’un questionnement poussé sur la formulation des difficultés rencontrées, reste la plus efficace des méthodes, pour peu qu’on sache observer et enquêter auprès des élèves. En ce sens, l’évaluation est permanente en tant qu’instrument de régulation des apprentissages et des parcours des élèves.
Repérer leurs besoins et les analyser n’est donc pas chose facile. Associez le plus possible vos élèves à la démarche : ils vous donneront des renseignements de première main, et ce processus ne peut que renforcer leur motivation et votre expertise : c’est une des clefs du développement professionnel.
Identifier les besoins au cycle II conditionne la réussite au collège !
Une étude de Sophie Morlaix et Bruno Suchaut (IREDU – Institut de recherche sur l’éducation) analyse les résultats aux évaluations nationales pour mieux comprendre les acquisitions scolaires : elle insiste sur l’importance du développement des automatismes (orthographe et calcul) et de la mémoire de travail. « C’est donc principalement avant le cycle III que doivent être mises en place ces activités systématiques (habiletés numériques) afin de mieux armer les élèves dans les dimensions des acquisitions les plus prédictives de la réussite ultérieure, une observation confirmée par les neurosciences (voir le chapitre 19). L’accès au collège se fera d’autant mieux que les élèves auront développé, et ceci dès la fin du cycle II, des habiletés élevées en calcul en général, et plus particulièrement en calcul mental. » Il s’agit donc ici d’un choix pédagogique que l’enseignant doit réaliser en accordant plus de temps à ce type d’activités, organisées notamment dans un cadre périscolaire.
Prendre en compte les résistances des élèves
La confrontation à des élèves en grande difficulté montre que des besoins importants en matière scolaire, qui s’imposent dans leur complexité sans analyse et traitement adéquat, produisent des perturbations relativement importantes, pour les élèves eux-mêmes et pour le groupe. D’après Boris Cyrulnik, nous pouvons observer une sexualisation de l’échec. Les filles qui échouent à l’école mettent en jeu des mécanismes de défense qui reposent sur l’immaturité affective et la régression infantile. Au contraire, face à l’humiliation de l’échec scolaire, les garçons réagissent souvent par la rage et la violence. Ces mécanismes psychologiques sont coûteux mais réparent dans l’instant la blessure portée à l’estime de soi1. (Voir le tableau
« Élèves en difficulté, élèves en échec », dans le chapitre 20 « Analyser les pratiques des élèves ».)
Apprendre invite à un changement de soi, de ses représentations, et a un coût en énergie et en temps que l’élève n’est peut-être pas prêt à payer. On peut rencontrer chez des élèves une intolérance à l’insécurité et une incapacité à se projeter, un refus de la prise de risque, face à toute information qui introduit de la dissonance dans un système fermé.2
“Ce dont j’ai besoin est ce qui me menace 2
Boris Cyrulnik et Jean-Pierre Pourtois, École et Résilience, Odile Jacob, 2007.
Philippe Jeammet, la construction de l’estime de soi, in Accompagner les adolescents, 2018, pp.91-98
Répondre à des besoins repérés, c’est donc commencer par construire du sens avec les élèves, du sens aux savoirs scolaires et du sens pour le travail, toutes choses qui n’ont absolument aucune évidence pour une partie du public scolaire. L’École et les enseignants doivent faire un bout de chemin dans leur direction.
Aider les élèves à prendre conscience de leurs besoins
Une foisles besoins recensés, qu’en faire ?
L’enquête sur les besoins est encore plus efficace quand elle implique les élèves. Ainsi, toute une équipe du lycée Guy-de-Maupassant, à Fécamp, s’est impliquée, avec des col- lèges environnants, dans une quête de sens autour de la liaison problématique entre troisième et seconde. Ils ont recueilli après visites, échanges, analyses communes des « paroles d’élèves ». Leurs travaux comportent une véritable prospection des besoins des élèves, au moins sur trois points.
Le besoin de réussite. Pour qu’une personne adopte une attitude motivée, il faut que l’objet corresponde à l’un ou l’autre de ses besoins. En outre, elle ne sera dynamique que si ce besoin d’atteindre un but renvoie à un désir profond. Le contrôle d’une partie de la situation. Il lui faut avoir en tête qu’elle peut – si peu que ce soit – contrôler ce qui lui arrive. Une attitude consistant à se sentir responsable (par exemple, de son échec, comme de sa réussite) alimente la motivation. Rejeter à l’extérieur la cause des événements, expliquer la situation par des causes externes (la chance, le hasard, les autres) induit la passivité.
L’anticipation temporelle. L’attitude motivée va de pair avec la nécessité de penser à long terme, d’attacher du prix à un possible ultérieur plus qu’à un réel présent, et à organiser son travail, sa vie, en conséquence. Avoir un projet, s’organiser pour le réaliser, accepter de faire des efforts aujourd’hui au nom d’un but plus ou moins lointain permet de tenir une attitude motivée sur la durée. Une écoute attentive, une analyse partagée sur le sens du travail, sur les avantages et les inconvénients d’apprendre et de s’organiser au lycée ont permis de frayer aux jeunes une voie pour une plus grande réussite. Apprendre reste un travail, les enseignants leur auront permis d’avoir quelques clés et outils d’analyse.
TROIS TRAITEMENTS POSSIBLES DES BESOINS
La prospection bien comprise des besoins des élèves – enquête patiente et ressassée d’une équipe – sera efficiente si elle se garde d’en construire les réponses avant de se poser les bonnes questions, en connaissance de quelques dérives coutumières de nos propres organisations, signalées par Gérard Chauveau1 :
Le saupoudrage : intervention épisodique à l’impact superficiel. Il vaut mieux concentrer les efforts sur un soutien intense et continu.
La substitution : la séance d’aide pédagogique (lecture-écriture ou mathématiques) ne porte pas vraiment sur la difficulté de l’élève mais sur d’autres domaines : comportement, psychomotricité…
La diversion : on évite la difficulté de l’élève en offrant des activités éloignées (axées sur climat ou relationnel).
La sous-stimulation : à la place du « plus » annoncé par l’aide et le soutien, on donne « moins » d’activités cognitives, moins de situations- problèmes à résoudre.
La dépendance : l’aide provoque une perte d’autonomie et déresponsabilise l’individu.
Le désengagement : parents ou enseignants peuvent se décharger du problème sur les « spécialistes » (RASED etc.).
La ségrégation : le destinataire de l’aide nécessite des mesures spécifiques, il est « traité » à part.
La stigmatisation : elle découle de la précédente. En voulant l’aider, on l’étiquette « inapte ».
La pathologisation : en polarisant uniquement sur les déficiences, et en négligeant les atouts de la personne aidée, on rend difficile le déclenche- ment d’une dynamique positive.
L’ambivalence : double discours avec deux messages opposés : « Tu vas y arriver ! » et « Tu as trop de handicaps, ça ne sert à rien ! ».
La vigilance pour ne pas tomber dans ces pièges doit être constante, d’où le besoin pour une équipe d’être accompagnée elle-même dans cette prospection.
Lorsque les besoins ont bien été recensés, on oscille entre trois tendances fortes dans l’éducation : le développement d’outils de réparation, la pédagogie du dispositif et l’approche par l’individualisation.
1. Cahiers pédagogiques, HS numérique, 2010, dossier « Aider les élèves ? » : https://www.cahiers-pedagogiques.com/aider-et-accompagner-les-eleves/
La « trousse à outils » de la réparation
Toutes les disciplines, et pas seulement les lettres et les mathématiques comme c’est trop souvent le cas, sont sollicitées pour travailler dans le cadre de leur enseignement sur les points ciblés par les besoins. Le temps de la sixième est un temps dédié pour consolider les apprentis- sages dans la logique du cycle 3. Pensons alors à un professeur coordonnateur « remédiation » pour signaler les priorités et faire le point des interventions dans les disciplines ?
En français, au collège, des logiciels de remédiation sont disponibles et sont suffisamment diversifiés pour répondre aux situations locales et à votre besoin propre.
- Outils de la langue, lecture : Lirebel, Grambel . À propos d’un item spécifique, ces logiciels proposent de nombreux exercices organisés selon une progression par séquences mais offrant plusieurs entrées possibles.
- Vocabulaire : une gamme de jeux en ligne pour enrichir le vocabulaire, proposée par école de crevette, https://www.ecoledecrevette.fr/referentiel-de-mots/
- Orthographe : Escritor. Avec un petit groupe d’élèves, ce logiciel nécessite des tablettes graphiques. L’élève y écrit avec le stylo graphique et le logiciel enregistre tout ce qu’il écrit sous forme de film (il peut le restituer plus ou moins rapidement). Cela permet de visualiser les hésitations de l’élève pendant l’écriture. Intéressant pour une dictée, le logiciel peut néanmoins se prêter à de multiples utilisations. Enfin, le BOF3 (Bréviaire d’orthographe française) peut aussi servir au cours d’un travail d’écriture. Se présentant sous la forme d’un fichier d’aide Windows, il propose une navigation en hypertexte dans l’en- semble des règles d’orthographe.
Site Internet : http://mapage.noos.fr/mp2/
La pédagogie par dispositifs de remédiation
Alternatif à la classe, un dispositif de remédiation permet de regrouper des élèves de plusieurs classes sur le critère d’un besoin repéré pour un temps donné comme le propose le dispositif « Devoirs faits » au collège. Cette organisation peut s’avérer efficace si enseignants ou autres intervenants et chef d’établissement savent agir avec souplesse et réactivité. À la façon, par exemple, du collège Léonard-Lenoir, à Bordeaux :
Groupes de besoin. Depuis quelques années, le collège Léonard-Lenoir a mis en place, en sixième, des groupes de besoin. La répartition horaire hebdomadaire d’une classe est la suivante :
3 heures en classe entière avec un professeur attitré ;
1 heure de remédiation avec le professeur de la classe ;
1 heure de groupe de besoin.
Lors de l’heure de groupe de besoin, les élèves de deux classes sont répartis en trois groupes d’effectifs différents :
groupe E d’environ 8 élèves ;
groupe F d’environ 14 élèves ;
groupe G d’environ 20 élèves.
Durant l’année, trois périodes d’environ dix séances sont organisées. Les groupes restent fixes sur une période, et les professeurs tournent face aux élèves suivant ce modèle :
Tests. Un test de prérequis permet de constituer les groupes pour une période. Ce test est soit tiré des évaluations de sixième qui ont été réalisées au début de l’année, soit élaboré par l’équipe des professeurs. Il porte sur des notions qui ont été abordées en primaire et qui sont en cours d’acquisition pour certains et acquises par d’autres. Aucun travail préalable n’est effectué avant ce test. À l’issue de l’étude de chaque thème, un test d’évaluation commun à tous les groupes est proposé aux élèves.
Période Professeur | 1 | 2 | 3 |
A | E | F | G |
B | F | G | E |
C | G | E | F |
Quelle est la place des savoirs que l’on doit travailler par besoins ?
Fonctionnement. Les élèves du groupe G travaillent en relative autonomie, à un rythme soutenu, sur des notions qu’ils maîtrisent et peuvent approfondir. Ceux du groupe F reprennent rapidement les bases et consolident leurs acquis. Les élèves du groupe E retravaillent les notions de base, participent librement sans crainte du regard d’élèves plus à l’aise, tout étant facilité par un effectif réduit et un niveau homo- gène. Trois thèmes ont été définis : techniques opératoires et calcul de durées ; tableau et traitement de l’information ; espace, patron d’un pavé droit, perspective, volume. Le premier thème porte sur un chapitre essentiel abordé en début d’année, les deux autres peuvent être « déconnectés » du programme.
Les enseignants ont en plus une heure de concertation hebdomadaire qui sert à élaborer les tests (prérequis et évaluation) ainsi qu’à mettre en commun les préparations de cours et à faire le bilan de ces travaux à la fin de chaque période.
Bilan. Ce mode de fonctionnement permet de « casser » le groupe- classe. Il est bien perçu par les élèves qui sont à l’aise car ils évoluent ainsi à leur rythme. L’appartenance à différents groupes selon les périodes permet de ne pas se sentir « catalogués », d’autant plus qu’il n’y a pas de lien groupe-professeur. Au test commun effectué en fin de période, les élèves qui ont les meilleurs résultats ne sont pas forcément ceux qui ont eu les meilleurs résultats aux tests de prérequis. Ce qui est encourageant pour tous !
Dans le premier degré, les dispositifs d’aide et de remédiation se sont multipliés ; voici par exemple une fiche de suivi ou tableau de bord pour une école, qui restitue l’éventail de l’individualisation du parcours pour un élève, un outil indispensable pour redonner de la cohérence au mot « parcours ».
Mise en pratique dans une école. Voici la panoplie d’une équipe pour répondre à des besoins repérés1 :
soutien organisé par l’enseignant de grande section en petit groupe lors d’un décloisonnement des CP le samedi matin en lecture pendant tout le deuxième trimestre ;
aide personnalisée deux fois par semaine en rédaction ;
observation par le maître G lors d’une séance d’EPS ;
bilan par le psychologue scolaire ;
aide par le maître E en résolution de problèmes de novembre à février (14 séances dans un groupe de 5) ;
aide par le maître G dans un groupe de 3 élèves, de janvier à juin (20 séances destinées à développer l’expression et la communication avec différents supports) ;
signalement effectué par le médecin scolaire suite à une visite médicale ;
équipe éducative en vue de la saisine de la commission départementale ;
saisine de la commission départementale pour une orientation en CLIS ;
présentation de la situation de l’enfant à l’équipe pluridisciplinaire du dispositif « réussite éducative ».
Suivi des aides par classe pour chaque élève – Mise à plat du temps scolaire et périscolaire de chaque enfant | |
Élèves de la classe de… |
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Aide personnalisée |
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Aide E |
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Aide G |
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Entretiens psychologue scolaire |
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SRAN (Stage de remise à niveau) |
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Accompagnement éducatif |
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APE (Activité péri-éducative) |
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Club Coup de pouce |
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ALEM (Ateliers lecture expression mathématiques) |
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Suivi extérieur (CAPP, CMPP, CMP, orthophonie, etc.) |
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Exemples d’actions extérieures à l’école :
séances d’orthophonie (orthophoniste privée) depuis la rentrée scolaire ;
séances au CMPP (enfants et parents) reconduites à la rentrée ;
évaluation faite par l’ASE ;
accompagnement à la scolarité par une association; bénéficie du « Coup de pouce » ;
séances de psychomotricité (privées) depuis la Toussaint.
D’après le site de la circonscription 18 B à Paris.
L’approche par l’individualisation
Le numérique ouvre en la matière des horizons intéressants,, Eduscol fait le recensement des remédiations et outils en français et en mathématiques1, organisé autour d’un tableau de fiches par compétences et d’exercices en ligne pour les élèves. Les savoirs, ceux inscrits dans les programmes y ont toute leur place. Après les tests d’évaluation à l’entrée en sixième, un répertoire des compétences nécessaires a été créé. À partir de celles-ci et des résultats aux tests, chaque élève organise en début d’année le travail qu’il aura à effectuer lors des séances de remédiation (une heure en demi-groupe par semaine). À chaque compétence correspond une fiche de travail avec une série d’exercices. Vous pouvez donc créer vos propres exercices, toujours plus adaptés que ceux que vous pourrez trouver ailleurs.
Faut-il parler de besoins avec les élèves pour les (re)motiver ?
La quizinière2 permet de créer des questionnaires en ligne et d’obtenir des réponses en temps réel. Simple, facile à prendre en main, ce service permet aux enseignants de faire participer leurs classes à des QCM.
Canope Amiens[2] recense onze outils en ligne pour générer des QCM plus performants et intuitifs à l’usage avec de nombreuses fonctions, telles que l’export des résultats vers un tableur ou un traitement de texte, un ensemble de thèmes au choix, l’insertion des tableaux, du Flash, des MP3 et des vidéos, images.
L’enseignant peut mobiliser cet arsenal, en développement numérique régulier, pour lutter contre les difficultés réelles des élèves en matière d’apprentissages fondamentaux. Cependant, on reste encore dans le domaine de la réparation, sans toucher à la question de la réussite.
DU BESOIN À L’ENVIE D’APPRENDRE
On ne peut créer le désir ou la motivation intrinsèque de chaque élève, mais on peut influer sur les conditions du contexte qui permettent de susciter son propre désir. Trouver du sens, accorder de l’attention, s’investir dans une activité d’apprentissage, seul l’élève peut le décréter, et certaines pratiques ou gestes de l’enseignant y contribuent favorablement. (Voir les variables dans la conduite de classe dans le chapitre 1 « Diriger une séance ».)
Les productions des élèves dépendent en grande partie des conditions auxquelles ces derniers sont confrontés. En comparaison descendante, on observe un besoin de protection de soi ; en comparaison latérale, par exemple en groupe de besoins, la situation est seulement évaluative, sans grand effet ; en situation de comparaison sociale ascendante, c’est-à-dire en groupe hétérogène, on tend vers une amélioration de l’image de soi. Dans un groupe, en situation d’anonymat, 90 % des élèves se comparent à leur groupe sexuel. Dans un univers très féminisé, il va donc dans l’intérêt des élèves – ici garçons – de varier les interlocuteurs et donc les groupements.
En quête de sens
En quoi l’École répond-elle à la quête de sens et aux interrogations fondamentales des jeunes ? Comment montrer qu’aller faire un tour dans le monde des savoirs, le monde des grands, est intéressant et nécessaire pour l’élève ? Serge Boimare, ancien directeur du CMPP Claude-Bernard, à Paris, exprime avec fermeté la nécessité de dépasser la seule remédiation ou la réparation : « Il faut absolument se dégager de la pression de ceux qui n’analysent l’échec scolaire qu’en termes de manque, de sous- entraînement. [...] Lorsque pour apprendre, il ne suffit plus d’entendre et de voir, mais qu’il faut aussi réfléchir et construire, les problèmes commencent. Quoi que je fasse, je sais que ces préoccupations parasites ne pourront pas être mises à l’écart, surtout dans le domaine pédagogique, puisque c’est la sollicitation à penser qui les réveille. [...] Je ne sors pas de mon rôle de pédagogue en leur transmettant la culture, médiation formidable, pour leur faire savoir que d’autres, avant eux, ont formulé les mêmes questions, ont connu les mêmes inquiétudes, les mêmes peurs que celles qui les taraudent. Que d’autres avant eux ont su leur donner une forme, ont réussi à les transformer en découverte scientifique, en œuvre d’art, à les mettre en mot dans des textes fondamentaux
C’est donc une invitation à reprendre, si jamais on avait laissé un peu de côté, les grands textes, comme l’a fait en primaire Marie-Dominique de Coulhac à Paris11. Pendant une année, elle animait un atelier d’études et de langages qui mène les enfants de cours moyen dans un parcours d’apprentissage, d’oralisation et finalement de création à la découverte d’auteurs du patrimoine français mais aussi étrangers. Un patrimoine culturel d’une quarantaine de textes, articulés autour d’un thème choisi en début d’année avec les élèves, permet dans une grande dynamique du savoir et de l’épanouissement d’aborder toutes les préoccupations de ces enfants. La joie, la haine, la peur, l’amour, la mort, le souvenir, la nostalgie… sont nommés.
AUTOTEST : FAITES-VOUS UN CAHIER« ANALYSE DES BESOINS »
Élaborez pour chacune des questions ci-dessous trois réponses de votre cru portant sur des approches, une méthodologie ou des outillages différents :
❏ Comment connaissez-vous les besoins de vos élèves ?
❏ Qui sont-ils ?
❏ Que font-ils ?
❏ Que ne savent-ils pas faire ?
❏ Que doivent-ils faire ?
❏ Comment le savez-vous ?
1. « L’apprentissage du langage par les grands textes ». Son travail est en ligne sur le site Innovation de Paris, http://urlz.fr/6uTc
[1] Voir http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2021/11/16112021Article637726428957340729.aspx
[2] https://canope.ac-amiens.fr/cui/formateurs-educateurs/utiliser-un-generateur-dexercices-en-ligne
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