J’avais pris il y a peu d’années l’image métaphorique et dynamique de la Grande Vague d’Ho Ku Sai pour exprimer ce que le changement peut être dans l’Education, du point de vue des acteurs.
Cet immense poster (chaque fois qu'il a été affiché, il a disparu dans la semaine qui suivait) a été composé numériquement à partir de 5000 images, photos et documents issus de mon fond professionnel, corpus des traces des enquêtes sur le terrain pendant 10 ans. La trame de fond est bien la Vague: le message subliminal, des petites choses font des grandes choses, par changement d'échelle; il suffit de prendre un peu de recul.
La métaphore de la Vague est puissante dans l'art au Japon; elle l'est d'autant pour nous en Occident ; le schéma ci-dessous montre que selon le point de vue adopté, le mouvement perçu serait très fort sur la droite, ou déferlant vers la gauche, ou insignifiant, quand on reste lointain et haut perché.
Le concept de dialogique porté par Edgar Morin entend restituer cette situation contemporaine où coexistent dans une même réalité des contraires apparents ; le changement tiraille autant les individus que les organisations locales. Plus que jamais, l’Ecole et l’ensemble de ses personnels, du bas et du haut, sont pris dans la dialogique entre conservation, transmission, institution d’une part, et évolution, innovation d’autre part.
Nos amis psychiatres évoquent la désarticulation de systèmes logiques: un système logique dispose d'une cohérence interne qui lui permet de fonctionner sur la durée, au gré des épreuves; sa désarticulation commence quand il est confronté à un autre : nous tous sommes mus par un système de valeurs, de représentations, qui président à nos actes. Ces représentations sont elles-mêmes issues de la combinaison entre des expériences initiales et des modèles issus de notre propre formation initiale (s’il y en a eu d’ailleurs), ou encore d’éléments appris sur le tas, en « salle des profs», ou encore par affiliation à quelques prises de position portées médiatiquement…
Ce système peut vous sembler logique et coutumier (« J’ai toujours fait comme cela »). Nous avons pu nous construire, nous former, nous faire guider par des systèmes, composés d’institution (« ce qui institue»), de sécurité, d’assurance et de stabilité. Ce constat se vérifie dans tous les métiers, et ceux de l’enseignement ne font pas exception. Cependant, il suffira de quelques gestes, ou paroles, d’un élève, d’un collègue, ou d’un parent, pour que votre système de pensée, votre « représentation du monde », soit ébranlé. Enseignants, tous niveaux confondus, mais aussi directeurs, chefs d’établissement, inspecteurs, formateurs, nous sommes confrontés à des tensions ou des renforcements paradoxaux qui, selon les cas, nous tirent à hue et à dia, élargissent nos compétences, mais parfois désarticulent nos actions, nous laissant en perte de repères traditionnels (« c’était mieux avant »?).
Bien des témoignages recueillis en de multiples endroits nous renvoient une image en mosaïque de perceptions des évolutions troublant les métiers de l’éducation et de la formation comme autant de forces telluriques travaillant les structures rigides de l’écorce terrestre, Ainsi, nous pourrions, à l’envie, identifier des couples ambivalents, sans opposition mais en tension, tels que :
Juger <- -> comprendre
fatalisme sociologique <- -> acte pédagogique
Évaluer <- -> accompagner
Indicateur <- -> indication
Contrôler <- -> vérifier, réguler
Confidentialité <- -> déprivation des pratiques
Militantisme <- -> professionnalisme
Transversal <- -> didactique
Formation <- -> développement professionnel
Changement <- -> identités professionnelles
Application de réforme <- -> résolution de problème
Statuts <- -> compétences
Hiérarchie bureaucratique <- -> leadership
tâche <- -> Activité
Performance immédiate <- -> temps du projet
Je sais <- -> je ne sais pas (faire) (tout seul)
Expertise externe <- -> négociation convenable
Approche scientifique <- -> prégnance des « idées sur les choses »
Absolutisme <- -> pragmatisme
Le changement touche directement personnels et organisations instituées dans leurs routines, légitimes un temps, puis bousculées de manière à présent accélérée de sorte à provoquer une désarticulation de systèmes logiques par ailleurs. Il est aidant pour tous de reconnaître ces dilemmes auxquels chacun se trouve confronté et tenter de les résoudre de manière partagée ; car on n’a pas raison tout seul.
Maurice Blanchot avançait : « la réponse, c’est le malheur de la question. ». Sans doute, faut-il aider les collègues à affronter ces dilemmes, à l’occasion d’un changement ici et maintenant. Une école en milieu populaire a construit sa dynamique grâce à un groupe de « partage des doutes et des difficultés », coordonnée par sa directrice, formée, elle, pour conduire dans le temps ces débats qui renforcent la professionnalité de son équipe.
On trouvera des éléments structurants et des analyses :
dans Monica Gather Thurler & Olivier Maulini (dir.) L’organisation du travail scolaire. Enjeu caché des réformes ? Québec : Presses de l’Université du Québec, 2007 par exemple ; plusieurs sont en ligne sur le site LIFE de l’université de Genève. Ou encore dans les apports de la recherche internationale, par exemple Hargreaves A., & Harris A., (2011). Schools performing beyond expectations, New York, Routledge,
Dans la méta-analyse des actions d’équipes suivies en innovation ; elles sont accessibles sur la base nationale Expérithèque ; un livre récent, fondé sur 300 cas, a pu en extraire les dix tendances du changement ; l’innovation, une histoire contemporaine du changement en éducation, coll. Changements en éducation, éd. CNDP, 2012
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