Le décrochage scolaire, des pistes pédagogiques pour agir, coord. Ph. Goémé, 2012
Préface à « Décrocheurs d’école », éd. CRDP Paris, 2012
“New ideas from mavericks mixtures in the margins”
Charles Leadbeather, ancien conseiller de Tony Blair, a fait le tour du monde de l’innovation en éducation, à l’occasion du 3ème WISE (World innovation summit for Education) ; il en tire quelques analyses dans un livre « Innovation in education », à l’attention de tous les acteurs des systèmes éducatifs. Ils concernent très directement nos auteurs et le sujet du raccrochage scolaire ici en France.
- « de nouvelles idées émergent dans les marges de mélanges improbables » : dispositifs et pratiques présentées dans cet ouvrage ont déjà une histoire de plus de dix ans ; ils naquirent au fond d’une impasse du 20ème arrondissement, dans un petit lycée professionnel tertiaire, comme tant d’autres. Rencontres improbables et heureuses entre la conviction d’un chef d’établissement et l’engagement de quelques enseignants, confrontés aux parcours erratiques de nombre de leurs élèves. On ne parlait pas encore de « décrocheurs » ni de « perdus de vue ».
- le talent est partout : les équipes se sont retrouvés confrontés à la fracture scolaire qui pouvait perdre des jeunes par ailleurs plein de qualité et de savoirs plus informels. Il suffisait de les considérer, en latin, cela signifie, porter un regard, sous un angle différent.
- la qualité fait beaucoup mieux que la quantité : il ne s’agit plus de structurer ni de réformer, mais d’entrer dans la boite noire de la classe, d’en analyser les facteurs qui permettaient de faire réussir tous les élèves,.
- mieux apprendre, apprendre différemment, et non plus dans une forme scolaire ; pour ce faire, les acteurs de l’école ont dû réinterroger l’organisation institutionnelle en focalisant leur énergie sur l’acte d’apprendre ; et quels changements cela occasionnerait dans la pratique comme dans l’organisation du travail de chacun.
- les organisations se nourrissent de réseaux et des mouvements : pour tenir face à un environnement qui n’a pas toujours été favorable au changement, pour se développer, pour évoluer aussi, les équipes se sont organisées en réseaux, au niveau national, en communauté de pratiques, mais aussi au niveau international où les ressources étaient déjà là.
Au travers des différents chapitres de ce livre, vous pourrez retrouver ces différents principes actifs qui améliorent le service public d’éducation.
Le raccrochage scolaire, entre expérimentation structurelle et processus innovant
En dix ans, de marginal, la lutte contre le décrochage s’impose comme processus et comme politique assumée.
L’intérêt d’un tel ouvrage s’apprécie dans l’analyse système réalisée à partir de maintes expériences et à partir de l’expertise acquise sur plusieurs années, des conditions de l’efficacité du raccrochage. Il ne peut suffire de (se) déclarer expérimental ou de penser par structure ; l’histoire encore récente a pu montrer combien cela pouvait enfermer.
Sur une matrice trouvée par ailleurs, dans un réseau comme l'INEPS[1] , dans des expériences alternatives plus anciennes comme city as a school , dans le programme Just for Kids, ou encore plus récemment des Charters Schools aux Etats-Unis, les dispositifs de raccrochage, sous des formes variées, parviennent à combiner plusieurs éléments pour fonctionner :
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le pari de l'éducabilité pour tous : les équipes adhérent explicitement au principe d’éducabilité et à des valeurs fortes (ils en tirent par ailleurs la raison de leur cooptation)
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Le travail partagé de diagnostic et de suivi des élèves, de leurs acquis et de leurs ressources : l’entrée des jeunes dans les dispositifs, les entretiens individuels, les bilans collectifs sont des marqueurs de leurs organisations.
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différencier les approches. Les équipes rompent avec la routine de la réparation ou remédiation, en privilégiant obstinément la différenciation, tous azimuts.
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bouleverser l'organisation. C’est l’organisation toute entière qui peut, si c’est nécessaire et intéressant pour les jeunes, se prêter à toutes sortes de bouleversements, qui réinterroge le modèle de l’Ecole plus traditionnelle.
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l'importance de la communication entre enseignants. Dans le temps même du travail, les personnels s’engagent dans un processus de développement professionnel, rendu possible par la déprivatisation des pratiques et la relégation de toute spécialisation coupante.
Une recherche durable sur l’efficacité en apprentissages
Ainsi pensée, l’organisation du raccrochage crée les conditions favorables d’un éco-système de formation pour la réussite de tous les élèves. Les enseignants s’autorisent alors à expérimenter, à retrouver, ou encore à inventer, des pratiques qu’en d’autres lieux on identifie comme « efficaces ».
Les conclusions des revues systématiques de littérature de recherche reviennent sur la vertu de l’acte pédagogique et à la qualité de la relation dans l’apprentissage. Parmi ces études, John Hattie[2] propose en synthèse les actes qu’il a repéré comme ayant des effets majeurs sur la réussite des élèves ; par exemple, La mise en œuvre d’une évaluation formative, Le feed-back apporté aux élèves, Les relations entre l’enseignant et les élèves, L’auto-verbalisation et l’auto-questionnement des élèves , Le développement professionnel des enseignants, La résolution de problèmes dans la classe, L’apprentissage coopératif entre élèves, L’étude précise des compétences des élèves, Le travail des élèves à partir d’exemples concrets, Le tutorat par les pairs dans la classe
Les dispositifs de raccrochage scolaire présentés ici retrouvent peu ou prou la totalité de ces actes professionnels qui redéfinissent la posture d’un enseignant avec ses élèves ; en s’intéressant de près au raccrochage scolaire, les collègues contribuent à modifier progressivement l’identité professionnelle, à défaut encore d’un statut trop ancien pour être adapté à ces nouvelles missions.
Apprendre de l’expérience et accompagner le changement
De marginale encore il y a quelques années, l’expérimentation devient formatrice et accompagnatrice ; tout au long des années, l’équipe des auteurs a été accompagnée localement par la mission académique de l’innovation, devenue CARDIE[3], mais aussi par la recherche, Marianne Hugon, professeur à Paris X. Les échanges durables, les questionnements croisées, les interventions auprès d’autres publics (étudiants, équipes sur site) ont été des jalons indispensables pour faire de cette expérience un capital de connaissances.
Finalement, c’est bien le rôle de l’innovation que de pouvoir être réinjectée dans le système scolaire, que d’être mieux couplée qu’elle n’était au système de formation. Ce faisant, elle contribue à moderniser les pratiques. Les personnels deviennent les meilleurs accompagnateurs du changement des pratiques d’autres équipes, dans une logique d’ex-pairs (experts).
En cherchant à faire réussir tous les élèves, tout monde aura appris ; et c’est sans doute une des conditions du succès.
[2] 2009, Visible learning. A synthesis of over 800 meta-analyses relating to achievement, Routledge
[3] CARDIE : conseiller académique Recherche et Développement en innovation et en expérimentation